Lille à l’heure Allemande : Octobre 1916 

L’explosion de la poudrière des 18 ponts

Ecrit par Michel DELMOTTE

Monument aux victimes de l’explosion de la poudrière des 18 ponts
Photo : Pascal Mor

Lors de la course à la mer, les armées impériales Allemandes remontent le Nord de la France, une région qui sera sous le joug de l’occupation durant 4 années.

La situation dans la capitale du Nord

Après un siège qui dure du 3 au 13 octobre 1914 et un intense bombardement : 882 immeubles ont été détruits ainsi que 1.500 maisons, notamment dans le quartier de la gare et le centre-ville. Courant octobre, l’administration Allemande prend ses quartiers dans Lille.

Rue Faidherbe à Lille après le bombardement 1914.
Source : Bibliothèque de Lille

La préfecture devient le siège de la VIème armée Allemande. Le général von Heinrich commande les forces d’occupation tandis que le général von Grävenitz gère les rapports entre la population civile française et l’occupant. En 1916, von Grävenitz remplace von Heinrich.


La Kommandantur de Lille s’installe dans les locaux du Crédit du Nord, rue Jean Roisin. Chaque jour à 10 h, se tient une réunion à laquelle participent le maire de Lille, le préfet, l’évêque de Lille et le général von Heinrich.

Il a été créé un journal en langue Allemande le « Lillerkriegzeitung » (Journal de guerre de Lille) destiné aux troupes d’occupation. L’immeuble de l’Echo du Nord et son matériel d’imprimerie ont été réquisitionnés. D’autres journaux en langue germanophones ( Le « Westfront » (Front de l’Ouest) et l’ « Armeezeitung » (Journal de l’Armée) sont vendus rue Nationale à Lille dans l’immeuble du Crédit Lyonnais qui lui aussi a été réquisitionné. Cette banque devient une maison de la presse allemande.

La rue Nationale devient le centre névralgique des autorités Allemandes.


On y trouve :

  • La Passzentrale chargée de délivrer les sauf conduits et autorisations de circuler.
  • Le bureau de poste Allemand, la police militaire.
  • Les services de l’intendance et du contrôle économique.
  • La citadelle est transformée en prison, on y accueillera les otages chargés de veiller à l’obéissance de la population.

Le front se situe à vingt kilomètres, des unités militaires Allemandes transitent donc inévitablement par les villes alentours. Il s’agit là d’un va et vient important. Les hôpitaux de Lille reçoivent les nombreux blessés. Le lycée Faidherbe sera transformé en lazareth (hôpital, maison de convalescence)

L’armée Allemande s’installe, la population subi l’occupation avec ses vicissitudes, vexations, humiliations. Le préfet du Nord n’a plus de pouvoir, les maires doivent de soumettre à l’autorité d’occupation. Les réactions contre cette soumission entraîneront des sanctions d’emprisonnement et de transfert dans des camps d’internement en Allemagne.

En 1916, un événement viendra marquer cette période. Il s’agit de la destruction de la poudrière des 18 ponts.

Le bastion des 18 ponts

         Le 1er corps d’armée allemande a aménagé

Le 1er corps d’armée Allemande a aménagé d’anciennes fortifications construites en briques et recouvertes de terre. Ces fortifications sont en périphérie de la ville sur le boulevard de Belfort à la limite de Fives.

Cet ensemble est constitué de 18 casemates de deux niveaux avec des voutes en berceau.

Ces casemates étaient utilisées comme entrepôts pour la poudre et les munitions. L’appellation donnée à ce site est due à l’apparence extérieure. La façade est constituée de 18 arches en plein cintre qui donnent sur de profonds souterrains. Cet ensemble est protégé par un important et épais remblai de terre.

Le 11 janvier 1916, restera marqué dans l’histoire de Lille et de la région. L’explosion de ce site détruira une grande partie de la ville.

L’EXPLOSION

La nuit du 11 au 12 janvier 1916, à trois heures du matin, la population est surprise dans son sommeil par une déflagration énorme. L’ensemble du bastion de pierre et les merlons de terre superficiels sont littéralement volatilisés. L’explosion laisse un énorme cratère d’environ 30 m de profondeur et 150 m de diamètre.

La déflagration, énorme, est entendue jusqu’à Bréda aux Pays Bas, où on la prend pour un tremblement de terre. Deux solides, longs et hauts bâtiments industriels récemment construits en béton armé, les usines Wallaert et Leblan, situés entre le dépôt et le centre-ville protégeront la ville de la violence du souffle. L’explosion fait néanmoins voler en éclats des vitres à plusieurs kilomètres à la ronde et de nombreuses toitures sont endommagées ou détruites par les projectiles résultant de l’explosion.

Le cratère de l’explosion

DEGATS MATERIELS ET HUMAINS

L’explosion a totalement détruit la poudrière engendrant un immense cratère et un paysage de cataclysme. Tout le quartier de Moulins est détruit. Les rues de Ronchin, Desaix, Kellermann, de Trévise et le Boulevard de Belfort ont particulièrement soufferts. 21 usines et 738 maisons ont été soufflées ou pulvérisées. Des milliers d’autres sont endommagées.

Le coût des destructions est estimé 60 millions de francs 1914.

Le bilan officiel des victimes sera de :

  • 104 morts, malgré les efforts de la population et des jeunes sauveteurs de la croix rouge.
  • 400 blessés (il est possible que l’occupant allemand n’ait pas déclaré toutes ses pertes).

Les réactions de l’autorité Allemande

L’autorité occupante Allemande, via le Gouverneur de Lille annonce une prime à qui dénoncerait un responsable.

  1. Dans la nuit du 10 au 11 janvier le dépôt de munitions a fait explosion à Lille. On soupçonne que la cause est due à un acte criminel.
  2. Qui pourra donner des indications précises sur le ou les coupables afin qu’on puisse les arrêter et condamner, recevra une récompense de 1 000 Marks.
  3. La population est avertie du danger qu’elle court à toucher aux pièces de munitions qui sont dispersées.
  4. La Mairie a reçu des ordres de protéger, à partir de ce soir, la propriété privée dans la partie détruite de la ville et d’y exercer la surveillance.
  5. Les communications concernant des membres de famille ou parents disparus doivent être adressées immédiatement à la Mairie.

Le Bulletin de Lille, journal alors contrôlé par l’armée d’occupation, semble ne pas vouloir donner une grande importance à l’accident, mais ne peut cacher aux Lillois l’ampleur des destructions, ni le nombre important de victimes civiles (l’état civil conserve les traces d’une liste de décès très supérieure à celle des semaines précédentes).

Un « Avis aux Sinistrés » est publié le 16 janvier 1916 par le même bulletin :  « Les personnes ayant éprouvé un dommage matériel du fait de l’explosion du 11 janvier pourront en faire la déclaration, 7, rue de Puébla, les lundis, mardis et vendredis, de 9 à 11 heures, ainsi que tous les après-midi (sauf le mercredi) de 2 à 4 heures ».

Ce même jour (le 16 janvier), l’autorité allemande fait savoir que « des essais de tir anglais, sans importance militaire, ont provoqué de nouveau, la nuit dernière, des dégâts considérables dans deux quartiers de la Ville, et inquiété la population. Comme il n’est pas impossible que ces faits se renouvellent, j’invite la population civile à observer les recommandations suivantes :

  1. Les caves offrent le meilleur abri contre les obus 
  2. Pour empêcher des incendies, il faut enlever des greniers toutes matières inflammables et préparer, en quantité suffisante, des récipients remplis d’eau ;
  3. Tout incendie doit être signalé immédiatement aux postes de police militaire et civile, et aux postes de pompiers ;
  4. Des secours médicaux seront donnés, en cas de nécessité, par tous les membres du service sanitaire Allemand ou des hôpitaux militaires ;
  5. On peut, à tout poste militaire, demander secours pour les travaux de sauvetage des victimes englouties.

L’exécution de l’art. 2 est sous le contrôle de la police militaire. Les infractions seront punies. » Source : (Actes de l’autorité allemande, À la population de la Ville de Lille ; Lille, le 16 janvier 1916).

On notera que : l’administration municipale doit s’entendre avec la Kommandantur pour procurer du logement aux personnes sans abri, à la suite de l’explosion du 11 janvier précisera le dernier bulletin du mois.

COMMUNIQUE DE LA PRESSE (sous contrôle de l’autorité allemande)

 « Dans la nuit du 10 au 11 janvier 1916, à 3 heures 1/2 du matin, une explosion terrible a fait trembler le sol de la ville de Lille, et même de la Région. Un dépôt de munitions sautait.
Le violent tremblement de terre qui s’est produit, et l’énorme poussée d’air, ont occasionné, dans la ville de Lille, et spécialement dans le secteur du Sud-Ouest de Lille, des dommages considérables, C’est une véritable dévastation. Des usines ont été jetées bas, des maisons renversées.
À ces dommages matériels, s’ajoute, malheureusement, la perte de beaucoup de vies humaines. Les habitants de ce malheureux quartier, surpris dans leur sommeil, par cette brusque explosion, ont péri, en grande partie, écrasés sous les matériaux de leurs maisons.
Il a été procédé aux opérations de déblaiement, pour la recherche des morts et des blessés, par les pompiers de Lille et par les soldats allemands, que l’Autorité militaire avait envoyés sur les lieux sinistrés, au nombre de plus de 4000.
Les sauveteurs, qui ont travaillé avec un dévouement admirable, pourraient raconter les plus navrantes histoires.
Les obsèques des victimes (dont nous publions les noms dans ce numéro), ont eu lieu Samedi 15 janvier 1916, à 10 heures 1/2 du matin, aux frais de la ville.
Sur la place Déliot, en face de l’église Saint-Vincent-de-Paul, dont la façade était complètement tendue de noir, étaient placées 12 plateformes, sur lesquelles étaient rangés 89 cercueils. Aux angles de chacune d’elles, se tenait un pompier. Quelques victimes, réclamées par leurs familles, pour des funérailles individuelles, avaient déjà été inhumées.
Mgr Charost, évêque de Lille, entouré du chapitre de sa cathédrale, et du clergé de toutes les paroisses de Lille, a, du haut du perron de l’église, chanté les prières des morts, auxquelles les chœurs paroissiaux ont répondu, et a parcouru la place, pour donner l’absoute.
Puis le funèbre cortège s’est mis en marche, et la foule attristée a vu passer, avec une émotion qui allait jusqu’aux larmes, le lugubre défilé des chars funèbres, conduisant à leur dernière demeure, ces personnes, hier pleines de vie, ces voisins qui s’en allaient, côte à côte, ces familles dont tous les membres avaient disparu ensemble, au cimetière du sud pour y dormir un éternel sommeil.
Ceux qui reviendront, iront chercher au cimetière les tombes des leurs, pacifiques victimes de la guerre, qu’ils croyaient retrouver, les attendant au foyer de la famille. À ces funérailles, s’était fait représenter son Altesse Royale le prince
Rupprecht de Bavière, par un officier d’état-major. Y assistaient : M. le Général von Heinrich, Gouverneur de Lille, M. le Général von Graevenitz, Commandant de la Ville, accompagnés de leurs officiers d’état-major et d’ordonnance, et entourés de plusieurs officiers supérieurs, qui s’étaient joints à eux.
M.
Charles Delesalle, Maire, accompagné de M. Anjubault, faisant fonction de Préfet, conduisait le deuil au nom de la Ville, entouré du Corps municipal, et suivi de toutes les notabilités de la Ville.
Puis, venaient les parents, les amis des disparus, qu’accompagnaient bien des habitants du quartier, surpris d’avoir pu échapper au fléau.
Au cimetière, deux longues fosses attendaient les restes de nos malheureux concitoyens, à qui, plus tard, sera élevé un monument. Mgr Charost, a béni le champ de repos.
Sur le tertre, ont été déposées les couronnes envoyées par son Altesse Royale le Prince de Bavière et M. le Gouverneur, par la Ville de Lille, le Comité Hispano-Américain, par des Villes voisines, et par de nombreux parents et amis, ainsi que par diverses sociétés et organisations locales.
Aucun discours n’a été prononcé. Dans les circonstances présentes, ce silence a été plus éloquent que les paroles.
 »

Source : Bulletin de Lille N°126 du 27 janvier 1916

Les causes ne sont pas toujours pas connues précisément. On a parlé d’un attentat, sans preuve, d’une bombe lancée par un avion Anglais, mais personne n’a entendu le bruit d’un moteur. Plus vraisemblablement, il doit s’agir d’une détonation spontanée d’explosifs de mauvaise qualité et instables. Toutefois une autre hypothèse évoque un obus de l’artillerie à longue portée britannique qui visaient les 500 tonnes de mélinite arrivées quelques jours plus tôt. L’origine criminelle fut bien sûr la thèse Allemande, qui ne pouvait accepter en public une cause accidentelle.

L’administration militaire Allemande de l’époque essaiera d’accréditer cette thèse en offrant une récompense (1000 marks) à toute personne pouvant donner des précisions sur l’auteur de cet acte.

Michel DELMOTTE

Sources : Archives départementales du Nord, Archives Ville de Lille, Bulletin de Lille, Chemin de Mémoires.