Polytechnicien et officier guadeloupéen au destin hors du commun

L’histoire mérite de rappeler le souvenir de Sosthène Héliodore Camille MORTENOL, car il est le premier polytechnicien d’origine noire d’outre-mer.

Ses origines

Camille est né à Pointe-à-Pitre le 29 novembre 1859. L’île et la ville de Pointe-à-Pitre sont encore marquées par le tremblement de terre du 8 février 1843 d’une magnitude de 8 qui a totalement détruit la ville et les victimes  hors les  esclaves sont de plus de 3000 personnes. Les esclaves ne sont pas comptés car à l’époque l’esclavage n’étant pas aboli, (la deuxième abolition celle de Victor SCHOELCHER est du 27 avril 1848.) ceux-ci n’entrent  donc pas  dans les décomptes officiels.

Sa jeunesse

Camille est le troisième enfant d’une famille modeste André son père est né en Afrique. Ce dernier est affranchi le 23 juillet 1847, il rachète sa liberté et prend le nom patronymique de MORTENOL. André exerce le métier de voilier, Julienne TOUSSAINT son épouse est aussi esclave et exerce la profession de couturière.

Camille fréquente l’école communale des Frères de Ploërmel, puis entre au collège diocésain de Basse-Terre. Il dispose de qualités brillantes notamment en matière de mathématiques, c’est un élève brillant. Il est remarqué par Victor SCHOELCHER qui lui apportera un soutien important,  lui obtenant une bourse qui lui permet de suivre des études au lycée Montaigne de Bordeaux. Il obtient son baccalauréat et prépare en 1880 le concours d’entrée à Polytechnique, Il est reçu 19éme sur 209 à la promotion de 1880.

L’intégration à Polytechnique

Premier « nègre » à intégrer cette institution, il sera accueilli par ses camarades de promotion en ces termes :

« Ah ! C’est toi le nègre. C’est bien, conscrard, continue ! Je t’ai reconnu à ta face luisante, aux reflets brillants, sur laquelle se détachent deux yeux blancs comme deux rostos de sapin dans tes ténèbres de la nuit. Si tu es nègre, nous sommes blancs ; à chacun sa couleur et qui pourrait dire quelle est la meilleure ? Si même la tienne valait moins, tu n’en aurais que plus de mérite à entrer dans la première École du monde, à ce qu’on dit. Tu peux être assuré d’avoir toutes les sympathies de tes ans. Nous t’avons coté parce que l’admission d’un noir à l’X ne s’était jamais vue ; mais nous ne songeons pas à te tourner en ridicule ; nous ne voyons en toi qu’un bon camarade auquel nous sommes heureux de serrer la main[5]. »

Camille MORTENOL avec des amis de promotion à Polytechnique

On raconte également que le général Mac-Mahon en visite à l’Ecole s’arrête devant lui est lui dit «  A c’est vous le nègre ? Très bien mon ami, Continuez ! »

Cette réussite détonne pour l’époque, en effet, il est rarissime eu XIXème siècle qu’un homme de sa condition de plus de race noire accède à un tel niveau dans une société très compartimentée. Chacun est étonné par ses capacités intellectuelles et ses compétences. Ceci va lui permettre de s’élever dans  la hiérarchie militaire.

Camille MORTENOL sort de Polytechnique en 1882 et intègre la Royale comme officier de marine.

Sa carrière militaire

Aspirant de première classe puis lieutenant de vaisseau il participe à la conquête de Madagascar en 1894. Il est de la bataille pour la prise du Fort Malgache en mai 1895.  Félix FAURE lui octroiera la Légion d’Honneur pour faits d’armes. Il sera des officiers qui  accompagnent  le général GALLIENI dans la campagne de pacification de Madagascar.

Suite à une formation de spécialité de torpilleur, il est promu capitaine de frégate, puis capitaine de vaisseau en 1914. Il participe à de nombreuses campagnes Madagascar, Gabon, Extrême-Orient. Il prend le commandement de la deuxième flottille de torpilleurs en Mer de Chine.

Au Début de la Première Guerre Mondiale, il est affecté à l’Etat-Major à Brest, il exerce le commandement de la défense fixe de Brest. Il n’aura jamais commandé un navire, malgré ses états de services remarquables il ne pourra briguer les « étoiles ».

Camille MORTENOL Officier

Son destin va changer en 1915, le général GALLIENI gouverneur militaire de Paris va faire appel à lui.

GALLIENI se rappelant de l’officier qu’il a eu sous ses ordres à Madagascar va lui confier la défense aérienne de la capitale. Il assure la direction du service maritime du camp retranché de Paris. Cet officier de marine breveté torpilleur va assurer la défense contre aéronefs, il assumera cette tâche avec panache. Pour cela il va utiliser des projecteurs à grande puissance afin repérer les avions  ennemis et déjouer les attaques meurtrières.

Camille MORTENOL à Paris

En 1917, ayant atteint l’âge de la retraite, il est nommé colonel d’artillerie de réserve et maintenu dans ses fonctions. Il est démobilisé en 1919.

Il sera promu Commandeur de la Légion d’honneur en 1920 avec la citation suivante :

« Officier supérieur du plus grand mérite, à son poste jour et nuit pour veiller sur Paris, assure ses fonctions avec un rare dévouement et une compétence éclairée. »

Camille MORTENOL prend sa retraite à Paris auprès de son épouse Marie-Louise VITALO  d’origine guyanaise. Il s’engage dans le mouvement « nègre assimilationniste ». Il consacrera son temps à former, prodiguer des conseils aux étudiants  antillais et guyanais pour déjouer les pièges et obstacles de la xénophobie et du racisme. Il est un homme profondément attaché à la République et aux valeurs défendues par Victor SCHOELCHER.

Il est décédé à Paris le 22 décembre 1930.

L’Amiral Bernard ROGEL chef d’état-major de la Marine Nationale lui rendra hommage lors des commémorations de septembre 2014 à Paris.  Célébrant un fils d’esclave parvenu à se forger un destin, celui d’un «  Hussard noir de la République »chantre de ses valeurs cardinales : la liberté, l’égalité, la fraternité.

Michel DELMOTTE

Sources : Marine Nationale.