Alors que nous avons longuement évoqué les opérations sur la Marne et que la victoire allemande sur les Russes à Tannenberg est connue de tous, on ignore trop souvent un autre front pourtant essentiel pour comprendre l’aspect continental du conflit naissant : la Galicie où se font face l’empire tsariste et l’empire austro-hongrois.

Plan de mobilisation à l'Est

Plan de mobilisation à l’Est

L’Autriche-Hongrie en retard d’une armée, d’une année et d’une idée

Alors que les Allemands ont mis en place une réflexion très importante sur la manière d’engager une guerre contre la France et la Russie avec le « Plan Schlieffen » au cours des vingt dernières années, il est surprenant de constater que leur allié autre-hongrois n’a pas été capable de prévoir correctement une guerre sur deux fronts malgré ses antagonismes avec d’une part la Serbie, et d’autre part l’Empire russe. Par ailleurs, le niveau de coordination avec l’OHL (Oberste Heeresleitung, grand état-major allemand) est bien trop insuffisant pour permettre de planifier une série d’opérations concertées contre la Russie.

Le plan austro-hongrois porté par le chef d’état-major le général Conrad von Hötzendorf, et approuvé par von Moltke, prévoit initialement d’engager l’essentiel des 48 divisions d’infanterie austro-hongroises contre la Russie pour satisfaire aux besoins des Allemands qui font des opérations contre la France le point essentiel des six premières semaines d’un éventuel conflit sur deux fronts. Les forces de la double monarchie doivent prendre l’offensive sur le flanc sud des armées tsaristes pour soulager la seule VIIIème Armée allemande.

Néanmoins, les tensions avec la Serbie mettent l’état-major austro-hongrois face à la problématique d’une guerre sur deux fronts. Une guerre contre la Serbie avec une intervention russe tardive permettrait de concentrer d’emblée 20 divisions contre les Serbes, qui comptent 11 divisions d’infanterie, en espérant les vaincre rapidement. Une fois la Serbie vaincue, l’ensemble de l’armée austro-hongroise pourrait se tourner vers l’Est. Pour faire face à la montée en puissance des Russes, le reste des divisions austro-hongroises seraient mobilisées en Galicie. Mais dans ce cas, aucune offensive d’envergure ne pourrait avoir lieu contre les armées du Tsar contrairement aux engagements pris avec l’allié allemand. De plus, la pauvreté du réseau ferré austro-hongrois entre le sud et le nord-ouest de l’empire ne permet pas un redéploiement stratégique d’un front à l’autre dans un court délai.

Aussi, face à ce dilemme, en mars 1914 von Hötzendorf modifie les conditions de mobilisation face à la Russie pour renforcer le front sud face à la Serbie, sans consultation préalable de l’OHL. Les unités qui doivent être déployées face aux Russes ne devront plus se porter immédiatement à la frontière mais resteront sur la San et le Dniester avec néanmoins l’objectif de mener l’offensive promise aux Allemands ! Cette indécision flagrante sera une des clefs des revers de la fin de l’été pour les Austro-Hongrois.

Même après l’expiration de l’ultimatum à la Serbie, et alors que la diplomatie russe menace d’intervenir von Hötzendorf hésite à déployer ses sept corps de réserves (IIème Armée) face à la Russie alors que la menace d’une intervention est patente. Il en résultera un manège ferroviaire délirante qui verra ces sept grandes unités transporter vers le sud, débarquer, rembarquer et enfin acheminer vers la Galicie à partir du 24ème jour de la mobilisation. L’ensemble de la IIème Armée ne sera finalement déployée que début septembre plus d’un mois après la mobilisation. Partout, c’est le même constat : la mobilisation austro-hongroise est un échec chaotique dont von Hötzendorf porte la responsabilité.

A la fin août, les armées austro-hongroises sont donc réparties de la manière suivante : la IVème Armée (Aufenberg) se concentre autour de Przemysl et Jaroslau, la Ière Armée (Dankl) se déploie au sud de Sandomierz, la IIIème Armée (Brudermann) autour de Lvov (Lemberg) et Sambor. Enfin, le détachement d’Armée Kummer protège le flanc sud autour de Cracovie. L’objectif principal de von Hötzendorf est de lancer une offensive avec le gros de ses forces entre Lublin et Chelm pour constituer ce qu’il imagine comme la pince sud d’un vaste mouvement d’encerclement du balcon polonais sans toutefois la moindre concertation avec la VIIIème Armée allemande supposée incarnée la pince nord de ce plan chimérique.

Les Russes et le plan 19

En 1910, les Russes ont établi un plan d’action (conçu par le général Danilov) qui prévoit initialement d’engager 800 000h face aux Allemands en Prusse-Orientale pour honorer le volet militaire de l’alliance avec la France. Cette offensive doit démarrer 15 jours après la mobilisation. Néanmoins, Soukhomlinov, le chef de l’état-major tsariste, est contraint de modifier ce plan sous la pression des généraux Alekseev et Kliuev, respectivement chefs d’état-major des districts militaires de Varsovie et de Kiev qui s’opposent à une stratégie défensive face aux Austro-hongrois.

Le Plan 19 est donc amendé et comporte deux volets le G pour préparer l’invasion de la Prusse-orientale et le A pour l’offensive en Galicie. Le 30 juillet 1914, pour répondre aux menaces de l’ultimatum de Vienne contre la Serbie, c’est dans le cadre de l’option A que la Stavka (Grand Etat-Major Général) déclenche le plan de mobilisation générale de l’armée tsariste.

Le général Soukhomlinov, chef d'état-major et ministre de la Guerre

Le général Soukhomlinov, chef d’état-major et ministre de la Guerre

Le plan 19 A prévoit que les armées russes profitent du déploiement avancé des troupes austro-hongroises à l’est de la San (les services de renseignement russes ont obtenu les détails du plan autrichien entre 1909 et 1912) pour tenter une attaque concentrique dans la région de Lvov.

Pour mener cette offensive, les Russes disposent de quatre armées rassemblées dans le Groupe d’Armées Sud-Ouest sous les ordres du général Ivanov. La 8ème Armée (Broussilov) se déploie au sud de Tarnopol fait face à la IIIème Armée austro-hongroise. La 3ème Armée (Ruski) se concentre dans le secteur de Rovno/Lutsk plus au nord et elle peut immédiatement soutenir l’action de Broussilov. La 5ème Armée (Plehve) est sur le cours supérieur du Bug et enfin la 4ème Armée (Zalts) est autour de Lublin.

Le 22 août, l’état-major russe constate que les Austro-hongrois ont modifié leurs zones de concentration en les plaçant plus à l’ouest. L’attaque concentrique du Groupe d’Armées Sud-Ouest risque donc de donner dans le vide d’une part et d’autre part que la 4ème Armée (numériquement la plus faible) s’expose dangereusement aux masses ennemies concentrées principalement dans son secteur.

L’ensemble du dispositif russe est très étiré sur plus de 450 km, le groupe d’armées « nord » (4ème et 5ème) tient un secteur de 175 km et le groupe d’armées « sud » (3ème et 8ème) un secteur de plus de 200 km. Par ailleurs, il existe un vide de 75 km entre les flancs des 3ème et 5ème Armées. Certes, l’avance générale prévue sur Lvov doit combler ce « trou » mais la Stavka est inquiète de la rapidité de la mobilisation austro-hongroise dans ce secteur qui laisserait à von Hötzendorf l’initiative.

Dès le 19 août Ivanov ordonne le mouvement de l’armée Broussilov, puis le 20 de la 3ème Armée enfin la 4ème et la 5ème le 23 août. Le 23, les unités de tête de la IVème Armée austro-hongroise débouchent des bois de Tanew face à la 4ème Armée russe… les combats peuvent commencer.

SYLVAIN FERREIRA