Véritable passionné des taxis de la Marne, Brice BELLIER, a accepté avec gentillesse de répondre à nos questions pour sam2g.fr.
Découvrez avec nous son histoire, sa passion, ses projets…

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SAM2G : Brice BELLIER, vous êtes passionné par les taxis de la Marne, vous en possédez d’ailleurs un exemplaire. Pouvez-vous nous expliquer votre parcours ?

« D’un centenaire à l’autre »

Né au début des années 80, j’ai grandi dans l’univers automobile. Mes parents avaient tous les deux travaillé pour le constructeur Renault en région parisienne et venaient de reprendre une agence en province.
Peut-être parce que j’associais les voitures modernes (de l’époque) à leur travail professionnel empiétant de temps à autre sur la vie familiale, l’automobile ne me passionnait alors pas vraiment.
Issu d’une famille où les générations précédentes ont eu la bonne idée de conserver plutôt que de remplacer ou jeter, les voitures plus anciennes remisées dans le garage faisaient, pour moi, partie du paysage et ne m’intriguaient pas vraiment davantage.
C’est avec le centenaire de la marque au losange célébré en 1998 sur les Champs Elysées que le déclic survient. Pour cette occasion unique qui a réuni à Boulogne-Billancourt plus de 800 voitures Renault dont 50 équipages anglais d’avant 1914 venus par la route ; mes parents nous avaient inscrits prématurément avec une Renault KZ de 1923 portant alors pour l’évènement le numéro d’équipage N°4/800 !

Image 02 - Renault KZ 1923

La météo clémente nous avait permis de sortir les canotiers ayant appartenu au grand-oncle et ainsi de remonter dans le temps ! Au milieu de cette ambiance propre aux grandes fêtes d’anniversaire et entourés de fervents collectionneurs, la passion venait de se transmettre…
Les années suivantes et avant d’obtenir mon permis de conduire pour prendre le volant des voitures anciennes, je me suis rapproché d’une association de costumes « Belle Epoque ».
A l’âge où beaucoup de mes camarades pensaient aux sorties, je parcourais les brocantes pour reconstituer des tenues anciennes et authentiques afin de présenter la voiture avec les tenues correspondantes à son année de sortie d’usine. Si j’ai bien évidemment commencé avec des tenues pour moi, il n’a pas été nécessaire d’attendre très longtemps pour que mes recherches s’élargissent aux tenues afin d’habiller mon entourage : parents, famille et ami-e-s…
Le but étant de pouvoir présenter le véhicule d’origine avec un équipage habillé de la tête aux pieds en tenues authentiques. C’est donc avec les critères tels que la taille, mais aussi la solidité du tissu (la soie ne pouvant par exemple plus être portée sans fuser), que j’ai constitué avec persévérance une collection d’une bonne centaine de tenues complètes sur la période 1900-1919.
Image 04 - Costumes automobilistes 1910Ainsi nous pouvons présenter des vêtements d’enfants, de femmes et d’hommes destinés à la vie civile (tenues de ville, de soirée, de nuit… d’hiver et d’été), destinés aux sports (bain de mer, cyclisme, tennis, escrime, patin à roulette, chasse à c
ourre, aviation et bien évidemment automobile, destinés aux corporations professionnelles (pompier, domestiques, porteur d’eau, vitrier, mineur, berger, terre-neuvas et bien évidemment chauffeurs de taxi, destinés aux militaires (tenue de corvée, d’officier, d’aumônier et bien évidemment de fantassin de 1914 – qui a nécessité une dizaine d’années de recherches)…

Image 05 - Chauffeur de taxi 1905-1914

Image 06 - Fantassin 1914

Nous avons également complétés ces tenues avec des accessoires restaurés en famille tels qu’un vélo De Dion Bouton de 1909, des landaus, des fauteuils roulants ou encore une chaise à porteur.
A cette époque, le taxi de la Marne ne sort du garage qu’une à deux fois dans l’année et en particulier pour la cérémonie du 11 novembre.
Compte tenu de ses dimensions imposantes (notamment sa hauteur de 2m20) et de son poids par rapport à son petit moteur bicylindre, sa vitesse de pointe à 25-30 Km/h nécessite de rouler lors d’évènements encadrés comme par exemple les rallyes automobiles spécifiques aux voitures d’avant 1914.
A l’approche du centenaire de la Grande Guerre et à partir des années 2010, les demandes de participations aux commémorations du 11 novembre se sont intensifiées.

C’est seulement alors que nous avons réellement pris conscience que nous allions vivre le Centenaire au volant d’un véhicule historique !

SAM2G : Vous êtes présents lors de nombreux évènements liés à la Grande Guerre et à son Centenaire. Pouvez-vous nous en parler et plus particulièrement du dernier, la pose de la plaque d’Etienne GERMAIN ?

« Une automobile, mais pas seulement ! »

Plutôt habitués aux grands évènements automobiles tel que le 50e Barcelone-Sitges avec uniquement des voitures d’avant 1914, nous n’avions pas encore vraiment eu la chance de côtoyer le milieu de la reconstitution historique avant que le hasard nous permette de croiser le chemin de l’association Mémoire de Poilus.
C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés à Villeroy pour la reconstitution de la première Bataille de la Marne durant laquelle Charles Péguy est tombé, puis à l’inauguration présidentielle du Musée de la Grande Guerre de Meaux en 2011. Depuis, nous avons eu la chance de présenter notre Renault AG1 de 1909

Image 07 - Renault AG1 devant Invalides en version « militaire » à bon nombre d’évènements dont les plus remarquables sont l’exposition sur les taxis au Musée de Belleau (02), l’exposition Excelsior « Jours de Guerre » par La Parisienne de Photographie à l’Orangerie du Sénat (75) Image 08 - Exposition Excelsior au Senat, la commémoration de la course Paris-Rambouillet (75-78), le Bivouac dans le jardin des Tuileries du 14 juillet 2014 (75), l’exposition à l’Historial de la Grande Guerre de Péronne (80), le centenaire de l’arrivée du Général Galliéni au lycée Duruy (75), l’inauguration de l’exposition « Levallois 1914 » à la Mairie de Levallois-Perret (92), la sortie du CD « Nathalie Nicaud chante Les plus belles pages musicales de 14-18 » aux Invalides (75) et le Salon des Taxis à la Porte de Versailles (75).
A cette liste, il convient de ne pas oublier l’ensemble des commémorations en 2014 du début du Centenaire de la Grande Guerre commencées en Belgique à Ham-sur-Heure en août et clôturées par la Course à la Mer à Armentières en octobre.
Pour nous, le point d’orgue fut le Centenaire des Taxis de la Marne le 7 septembre 2014 organisé conjointement par le groupement Gescop Alpha Taxis et l’Armée.

Image 09 - credit photo JJ WANEGUE - Centenaire des taxis a Nanteuil le Haudouin

A noter que si nous ne savons pas (et ne saurons jamais), si notre taxi a fait partie du convoi en 1914, il a néanmoins déjà fait 2 fois ce trajet commémoratif en 1999 et en 2014 !

C’est justement à cette dernière occasion que j’ai eu l’opportunité de rencontrer Danièle Gioli, l’arrière-petite-fille du chauffeur de taxi de la Marne Etienne Germain.

Image 10 - Brice BELLIER et Daniele GIOLIDe là, a germé l’idée d’une plaque commémorative en l’honneur de son aïeul.

Né en 1871, Etienne Germain est trop âgé (43 ans) pour être mobilisé en 1914. Il poursuit donc son métier de chauffeur de taxi parisien et fait partie des 1 100 taxis réquisitionnés par le Général Galliéni, Gouverneur Militaire de Paris, pour transporter dans la nuit du 7 au 8 septembre 1914 les 103e et 104e Régiments d’Infanterie au plus près du front.
Les jours suivants, une cinquantaine de volontaires dont Etienne Germain reste à la disposition de l’Armée. Ayant conduit un officier rejoindre son régiment sur la ligne de feu, Etienne Germain a accepté d’aller à la nuit tombée du 13 septembre en avant du front chercher des blessés à la ferme de Moranval, près de Tracy-le-Mont.
Accompagné seulement d’un caporal infirmier, il est surpris par des soldats allemands à courte distance, fait machine arrière, couvre avec son taxi la retraite et le tir du caporal.
Tous deux rentrent sains et saufs avec le taxi-auto 1198 G2 criblé de 32 impacts de balles.
Le 26 septembre 1914, Etienne Germain est cité à l’ordre du jour des Armées de Paris (J.O. n° 46-292).

Image 11 - Extrait JOIl reçoit la croix de guerre le 1er mai 1915 des mains du Général MAITROT et accueille également le Taxi de la Marne aux Invalides en 1922, toujours en exposition depuis ce jour.Image 12 - Etienne GERMAIN a gauche - 1922 Invalides

Néanmoins l’acte de bravoure d’Etienne Germain est peu à peu oublié… (Peut-être dû à son engagement syndical ?)
C’est donc à mon initiative et avec l’appui de l’association Patrimoine de la Grande Guerre à l’occasion du Centenaire de la Bataille de Quennevières en juin 2015, que la plaque commémorative en l’honneur d’Etienne Germain a été dévoilée à la ferme de Moranval (60) en présence des élus locaux, de descendants du chauffeur, des associations d’Anciens Combattants et des représentants syndicaux des artisans taxis.

Image 13 - Brice et plaque Etienne GERMAIN

Image 14 - Moranval - Officiels et famille GERMAIN

Image 15 - Moranval - Famille GERMAIN et Destins de FrancePour cet évènement et me témoignant ainsi de leur soutien et leur reconnaissance, les associations participant activement au devoir de mémoire 14-18 en Somme, Destins de France, Mémoire de Poilus et Scènes et Marne 1914 n’ont pas hésité à contribuer de leur présence.
Si cette plaque commémorative permet de faire sortir de l’ombre un chauffeur injustement oublié, elle est également l’occasion pour moi de rappeler modestement que mes recherches historiques m’ont également conduit sur le chemin de la collecte de documents.
A l’image de mon grand-père maternel Jean Nonin, spécialiste reconnu de Pierre Loti, j’archive ce qui touche de près ou de loin aux taxis de la Marne, aux compagnies de fiacres automobiles, à la grande grève des chauffeurs en 1911…
Si ce sont principalement quelques centaines de cartes postales et de journaux d’époque qui enrichissent cette documentation, certaines pièces historiques y ont également une bonne place, à l’image de la carte de visite du Général Galliéni envoyée à sa cousine quelques heures avant sa nomination au poste de Gouverneur Militaire de Paris dans laquelle il évoque faire passer le salut du pays devant son deuil personnel (sa femme venant de décéder un mois plus tôt en juillet 1914).

Image 16 - recto - Carte Gallieni

Image 17 - verso - Carte Gallieni

Image 18 - Taxi reconstitution d'apres Les GodillotsOutre l’aboutissement de la plaque commémorative en l’honneur d’Etienne Germain donnant un sens humain à mes recherches, cette base de données a permis des collaborations diverses et variées auprès de scénaristes, de journalistes, d’historiens et d’auteurs comme par exemple avec la trame historique des Souvenirs cachés d’un Taxi de la Marne de Philippe Barbeau (Ed. Oskar), les illustrations de Marko pour le Tome 3 des Godillots (Le Vol du Goéland – Ed. Bamboo),
les articles d’Hugo Baldy et Philippe Charbonnier respectivement paru dans La Vie de l’Auto et Vivre l’Histoire, et les reportages vidéos de Dominique Patinec et Frédérick Gersal pour France Télévision.

SAM2G : Quels sont aujourd’hui vos projets ?

« Les femmes et Peugeot, d’autres pistes… »

Image 19 - Madame DecourcelleEn attendant les commémorations du centenaire de l’Armistice en 2018, le taxi de la Marne se remet des quelques 300 kilomètres parcourus en 2014. J’ai pour ma part repris l’archivage de ma documentation et oriente désormais mes recherches sur les femmes chauffeurs à l’image de Madame Decourcelle (1ère femme cochère à obtenir son permis de taxi) à qui ma mère, ayant exercé cent ans plus tard la même profession, rend déjà souvent hommage en costume d’époque.

Image 20 - Annie NONIN

Image 21 - Chauffeuresse SenegalaiseLe partage de ces recherches pourrait bien aboutir à des conférences qui me donneraient l’opportunité de présenter des documents inédits comme la photo de presse de cette « chauffeuresse » légendée en 1909 : « Une négresse comme chauffeur, la première femme négro provenant du Sénégal, à jouer du taximètre dans les rues de Paris ».

La société du début du XXe siècle ne s’attendait pas à ce que la guerre de 14-18 bouscule autant le monde, ses codes et les nationalités venues défendre le sol français comme par exemple les tirailleurs (justement) sénégalais. D’ailleurs, cette femme serait aujourd’hui considérée comme victime d’une double discrimination.
Bien que les récompenses ne soient pas une motivation ni pour mes travaux de recherche ni pour ma présence aux commémorations, mon père (qui est fier de la mise en valeur du patrimoine familial que j’effectue) a contribué à l’acquisition d’une nouvelle pièce : une bicyclette pliante dite « Capitaine Gérard ».
L’occasion pour nous de représenter plus largement l’industrie « automobile » (Renault pour l’auto, Peugeot pour le vélo) et de partager de nouvelles connaissances avec Christophe Lagrange, grand spécialiste de ce vélo.

Le rendez-vous au musée de la Grande Guerre de Meaux est néanmoins pris pour le mois d’avril 2016 à l’occasion du week-end d’histoire vivante !

Image 22 - Taxi a l'inauguration du Musee

Un grand merci à Brice BELLIER pour sa gentillesse et sa disponibilité !!

Pour contacter Brice BELLIER – Taxi de la Marne : Renault AG-1 de 1909
1 avenue des Sables 17110 St Georges de Didonne
06.83.33.67.88
bricebellier@aol.com
www.taxidelamarne.over-blog.com