De tous les phénomènes liés à la Grande Guerre, celui des trêves et des fraternisations à Noël 1914 sur le front occidental est un des plus commentés depuis la sortie du film Joyeux Noël en 2005. Mais au-delà de l’aspect symbolique indéniable de telles manifestations entre ennemis, ce phénomène a-t-il été un exception ou une généralité le long de la ligne de front ?

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Extrait d’une lettre d’un Poilu décrivant les cadeaux laissés par les Allemands dans le no man’s land.

Le 7 décembre, le futur général De Gaulle souligne dans une lettre à sa mère que l’apparition de tranchées risque de faciliter la fraternisation des combattants qui se font face pendant plusieurs jours. Il est clair que l’installation durable d’unités dans un même secteur conjuguée avec la misère des conditions de vie dans des tranchées rendues très vite boueuses voire inondées (notamment dans les Flandres) augurent de comportements incompatibles avec l’esprit guerrier.

Les tranchées premières coupables

La première trêve mentionnée dans un document officiel date du 11 décembre 1914, et elle est rapportée par le War Diary (NDLA : journal de marche) du 2nd Essex Regiment (secteur d’Ypres) qui explique que des hommes ont rencontré les soldats allemands du 19e Corps saxon à mi-chemin entre les tranchées. Le récit par un soldat anglais de cette rencontre sera même publié le 1er janvier 1915 dans la presse.

Toujours dans les premiers jours de décembre, on constate des phénomènes de trêve entre Français et Alle­mands pour enterrer les camarades morts et échanger des journaux. Tout cela se déroule dans un climat général d’épuisement des combattants qui, pour une grande majorité, combattent sans arrêt depuis
mi-août.

Proximité durable des ennemis et misère partagée amenuisent l’esprit guerrier

Stille nacht dans les Flandres
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L’étoile laissée par les allemands au sommet du sapin de Noël et mentionnée dans la lettre.

L’épisode le plus marquant et le plus souvent évoqué se déroule donc à Ploegsteert (Belgique), le 25 décembre au matin. Les soldats britanniques et français qui tiennent les tranchées dans ce secteur sont surpris d’entendre les Allemands entonner Stille nacht (Douce nuit) et constatent que des arbres de Noël ont « fleuri » le long de la tranchée. Les Britanniques répondent en chantant eux aussi des cantiques. Les Allemands sortent alors désarmés dans le no man’s land en exhortant les Britanniques à les rejoindre. Les Français sont plus réticents.

Dans le no man’s land, les hommes échangent du tabac, de la nourriture en présence de leurs officiers subalternes. On en profite bien sûr pour enterrer les camarades. Dans certains secteurs, on évoquera des matchs de football entre Allemands et Britanniques, le 25 décembre ou dans les jours suivants.

Une belle exception

Dans l’ensemble, seuls les cas évoqués ci-dessus seront rapportés par les combattants des deux camps dans leurs courriers ou dans certains journaux anglais.

Malgré leur caractère symbolique, ils resteront limités géographiquement au secteur d’Ypres et ne concerneront que très exceptionnellement des troupes françaises, et jamais les belges. Le souvenir des villages français dévastés et le martyr des populations belges n’engageaient pas les soldats à fraterniser avec les Allemands à l’inverse des Britanniques. Le phénomène des fraternisations ne reflète donc pas une volonté de suspendre les hostilités avec un ennemi ré-humanisé autour d’une fête commune.

Sylvain Ferreira