En marge des commémorations officielles organisées dans le secteur occupé en 1916 par les Britanniques, j’ai voulu me rendre dans le secteur français à la recherche des traces des combats mais aussi pour mettre mes pas dans ceux de deux de mes aïeuls blessés pendant la bataille.

Je commence mon périple par le village de Feuillères où mon arrière-grand-père maternel Maurice Légé a été blessé le 20 septembre 1916 par un éclat d’obus. Difficile en arrivant dans ce petit village en bord de Somme d’imaginer l’ampleur des destructions et des combats. Malgré une météo peu clémente, le lieu respire le calme et la sérénité.

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Soldats français au milieu des ruines de Feuillères en 1916.

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1er juillet 2016, le canal de la Somme à Feuillères.

Je poursuis ma route vers le sud en direction de Belloy-en-Santerre, haut-lieu des combats du 4 juillet 1916 au cours desquels le Régiment de Marche de la Légion Etrangère (RMLE) s’est emparé du village. Dans les rangs du régiment se trouvait le grand-père d’un membre de notre association, le grand-père d’un ami catalan, car il y avait alors plus de 300 volontaires catalans dans cette unité, et enfin, un illustre poète américain, Alan Seeger, qui tomba au cours de la prise du village… le 4 juillet, le jour de la fête nationale des Etats-Unis.

Après cet arrêt à Belloy, je me dirige vers Lihons, où des déviations sur la route d’accès au village me mènent sur un petit chemin à l’orée des champs où je tombe par hasard sur la tombe du Prince Louis Marie-Michel Joachim-Napoléon Murat, le petit-fils de Joachim Murat, mort le 21 août 1916, à l´âge de 19 ans alors qu’il était maréchal-des-logis au 5e régiment de cuirassiers à pied.

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Tombe du Prince Murat, petit-fils de Joachim Murat, maréchal d’Empire, Roi de Naples et beau-frère de Napoléon.

A la sortie du village, j’arrive à la nécropole nationale de Lihons où reposent 6 581 soldats dont 6 britanniques. C’est dans l’un des ossuaires de cette nécropole que reposent les restes d’Alan Seeger, mais aussi ceux du grand-père paternel (André) de mon amie artiste Béatrice Turquand d’Auzay qui a exposé ses oeuvres au Musée de la Grande Guerre en 2012.

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Le ciel est bas et une pluie fine commence à tomber, les rafales de vent font bruisser les feuilles des arbres qui bordent l’allée centrale du cimetière. Comment ne pas songer alors aux terribles conditions de combat dans lesquelles ces hommes ont vécu et souffert y compris dès l’été 1916, l’un des plus pluvieux de la décennie ? Alors que je rebrousse chemin, je croise à la porte de la nécropole deux personnes : MM. Savels et Galloni d’Istria, contributeurs du site Monument aux morts corses. Nous échangeons quelques mots et ils me proposent de me joindre à eux pour planter des bleuets sur les tombes des soldats originaires de l’île de Beauté enterrés dans la nécropole. J’accepte volontiers.

Nous parcourons ainsi les allées à la recherche des tombes référencées par Antoine Galloni d’Istria qui évoque le parcours de chaque soldat avant de planter un bleuet. Que d’émotion et de fierté de rendre ainsi hommage à tous ces hommes dont certains sont tombés le 1er juillet 1916. Le temps étant compté, je prends congé mes deux nouveaux amis et je reprends la route en direction d’Albert pour aller me restaurer et me réchauffer un peu. L’accès à la ville et au secteur est partiellement bouclé en raison de la cérémonie officielle de Thiepval. Une fois ma pause terminée, je fais un arrêt à la nécropole française d’Albert sur la route qui doit me ramener à Maurepas.

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C’est sous le soleil que j’arrive à l’entrée du village bordé par la nécropole française de Maurepas. C’est dans les champs à quelques centaines de mètres de là que le 13 août 1916, Maurice Légé, alors caporal-chef, entraîne son groupe de combat sous le feu allemand. Il sera décoré de la Croix de Guerre et cité à l’ordre de la 47e division d’infanterie pour sa “très belle tenue au feu, en particulier le 13 août où sous un très violent bombardement a donné à ses hommes l’exemple de la plus tranquille bravoure et d’un sang froid remarquable.”

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Les abords sud de Maurepas où s’est distingué mon arrière-grand-père Maurice Légé.

Dans la nécropole, je retrouve par hasard Antoine Galloni d’Istria qui poursuit son hommage, seul cette fois, aux soldats insulaires. Je lui donne de nouveau un coup de main pour identifier les tombes et planter avec lui des bleuets.

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Je quitte à regret Antoine Galloni d’Istria pour terminer mon périple sur Rancourt/Bouchavesnes, là où le cousin de mon arrière-grand-père Achille, Fernand Mouthenot du 76e RI, a été blessé d’une balle dans la main le 25 septembre 1916 lors de l’attaque du 32e Corps d’Armée français pour s’emparer de Rancourt. Sur mon cours trajet, je passe à côté de la nécropole allemande de Rancourt où je décide de m’arrêter pour rendre hommage à nos ennemis d’hier (plus de 11 000 soldats allemands sont enterrés là), tombés eux aussi au champ d’horreur de cette guerre civile européenne. Je m’attarde sur la tombe d’un soldat allemand de confession juive, et je songe, en récitant le kaddish des endeuillés, au destin probablement tragique de sa famille dans les années 30 et 40.

Quelques centaines mètres plus loin je termine donc mon pèlerinage à la nécropole nationale de Rancourt (la plus grande nécropole française de la Somme) qui abrite les restes de 8 563 soldats français dont plusieurs camarades du 76e RI de mon aïeul. L’émotion est très forte en songeant à lui dont je viens de découvrir le parcours il y a seulement quelques jours.

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Lambert Maurice Eugène du 76e RI, mort pour la France le jour où mon aïeul a été blessé.

Je visite enfin la chapelle qui borde la nécropole, elle a été érigée par la famille du Bos, originaire de la région, pour honorer la mémoire de leur fils tué le 25 septembre 1916 pour reprendre son village natal. C’est le Souvenir Français qui, depuis 1937, gère le bâtiment et l’animation du mémorial. Après une discussion chaleureuse avec le gardien des lieux, membre comme moi du Souvenir Français, je reprends la route pour un repos bien mérité, le coeur chargé d’émotions et de souvenirs, sûr d’avoir modestement accompli mon devoir pour que ceux qui sont morts ici ne disparaissent pas une seconde fois de nos mémoires.

SYLVAIN FERREIRA