Au cours de la Grande Guerre, plusieurs batailles sont devenues le symbole de l’unité nationale de plusieurs états de l’Empire Britannique : Vimy pour les Canadiens en 1917, Gallipoli pour les Australiens et les Néo-Zélandais en 1915 et le bois Delville pour l’Afrique du Sud en 1916. Retour sur cette bataille, probablement la moins connue du public français, qui se déroula il y a cent ans au cours de l’offensive franco-britannique sur la Somme.

Le bois Delville est situé à l’est du village de Longueval. Le village est parcouru par la deuxième ligne de défense allemande. Les Britanniques de XIIIe et XVe corps d’armée ont atteint cette ligne le 14 juillet 1916 dans la journée. Les Ecossais des 26th et 27th brigades de la 9th (Scottish) Division ont réussi à pénétrer dans la partie sud de Longueval après d’intenses combats au corps-à-corps. Néanmoins, faute de soutien d’artillerie et faisant face à l’arrivée de renforts allemands, ils n’ont pu ni s’emparer de la moitié nord de la localité, ni du bois Delville.

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Le général de brigade Lukin qui commande la 1st South African Brigade

Le 14 juillet, à 13 heures, le général Furse qui commande la 9th (Scottish) Division demande au général Lukin, le chef de corps de la 1st South African Brigade (121 officiers et 3 032 sous-officiers et homme du rang) de préparer l’assaut du bois Delville pour 17 heures afin de permettre la prise complète de Longueval. Mais la résistance des Allemands contraint Furse a reporté l’engagement des Sud-Africains, une première à 19 h puis finalement à 6 heures du matin le 15 juillet.

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Le lieutenant-colonel Tanner qui dirige l’assaut le 15 juillet au matin.

Le lieutenant-colonel William Tanner est désigné pour mener l’attaque à la tête des 2e, 3e et 4e bataillons de la brigade. Le 1er bataillon est maintenu à disposition des troupes écossaises qui doivent s’emparer de Longueval. Le 15 juillet à l’aube, le 2e bataillon occupe les tranchées du 5th Cameron, le 3e bataillon doit assurer le soutien et le 4e est maintenu en réserve. A 6 h, sous un ciel nuageux l’assaut démarre depuis l’angle su-ouest du bois sans rencontrer de résistance. A 7 h, le 3e bataillon, renforcé par deux compagnies du 2e bataillon, occupe sans encombre toute la position au sud de Prince’s Street, tandis que le reste 2e bataillon fait mouvement vers le nord du bois. L’objectif est également atteint mais les trois compagnies du 2e bataillon doivent tenir un front d’un kilomètres avec des effectifs insuffisants. Equipés de pelles et barbelés, les hommes se retranchent comme ils peuvent entre les troncs d’arbres, gênés qu’ils sont par les racines et la terre dure à creuser. Ceux qui atteignent la lisière nord du bois sont accueillis par un feu nourri de l’artillerie allemande et des tirs de mitrailleuses. A 11h30, une première contre-attaque d’un bataillon de la 24. Reserve Infanterie Division en provenance du sud-est du bois est repoussée. En début d’après-midi, c’est un bataillon de la 8. Infanterie Division qui est stoppé sur la face nord-est.

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Attaque du 15 juillet au matin. Crédits Wikicommons

A 14h40, Tanner fait son rapport au général Lukin et l’informe qu’à l’exception de points d’appui au nord-ouest, il a conquis l’ensemble du bois Delville. Entre 15 heures et 18h30, les Bavarois du 6. Reserve Infanterie Regiment tentent de contre-attaquer les positions sud-africaines, mais ils sont repoussés par les feux de mousqueterie. Devant les pertes qui commencent à devenir importante et malgré l’engagement d’une compagnie du 4e bataillon, Tanner a peur de ne pas pouvoir faire face. En fin d’après-midi, Lukin envoie donc une compagnie du 1er bataillon qui vient de repasser sous ses ordres pour renforcer le 2e bataillon dans le nord du bois. Les positions sont renforcées par l’arrivée de mitrailleuses Vickers et Lewis afin de repousser toute nouvelle contre-attaque. Malgré ces renforts, les effectifs sont étirés au maximum pour tenir l’ensemble du secteur, et Lukin ne dispose plus que d’une compagnie du 1er bataillon et deux compagnies du 4e bataillon pour seules réserves.

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Positions tenues par les Sud-Africains le 15 juillet au soir. Crédits Wikicommons

A la nuit tombée, l’artillerie allemande se déchaînent sur le saillant formé dans leurs lignes par les Sud-Africains. Quatre brigades d’artillerie allemande concentre leurs tirs sur les Sud-Africains faisant pleuvoir un déluge de fer et de feu, à une cadence de 400 coups minutes, sur les défenseurs du bois qui n’a plus de bois que le nom. Le 16 juillet à 2h35 du matin, Lukin reçoit l’ordre d’occuper à tout prix la partie nord-ouest du bois afin de soutenir l’assaut des Ecossais du 11th Royal Scots qui doivent s’emparer de la partie nord-est de Longueval. A 10 heures du matin, après un bref bombardement des positions allemandes au mortier, les Sud-Africains du 1er bataillon partent à l’assaut depuis Prince’s Street. La progression est difficile tant le terrain est bouleversé. De plus, les Allemands, solidement retranchés, prennent les Sud-Africains sous leurs feux croisés de leurs mitrailleuses et leur artillerie tire sans discontinuer, occasionnant de nombreuses pertes. Les Ecossais sont eux aussi arrêtés dans leur tentative de prendre Longueval. Suite à ce double échec, les unités décimées se replient sur leurs lignes de départ et subissent un bombardement tout le reste de la journée.

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L’attaque alliée du 16 juillet au matin. Crédits Wikicommons.

Dans l’après-midi, le lieutenant-colonel Dawson qui commande le 1er bataillon informe que la situation de ses hommes dans le bois est des plus précaires et demande à ce qu’ils soient relever. Lukin, inquiet de l’état de ses hommes promet d’en parler au général Furse, mais la position occupée par les Sud-Africains est vitale pour s’emparer de Longueval. Finalement, une nouvelle attaque sur Longueval est prévue pour le lendemain 17 juillet, mais après avoir réajusté le périmètre de l’ensemble de la 9th (Scottish) Division et de la 1st South African Brigade afin d’opérer une préparation d’artillerie dans les meilleures conditions. Malgré ces précautions, c’est un nouvel échec qui entame encore un peu les forces sud-africaines malgré le soutien de la 3rd Division du XVe corps d’armée dans l’attaque sur Longueval. Le 17 au soir, Tanner est blessé et remplacé par le lieutenant-colonel Thackeray du 3e bataillon. Dans la nuit du 17, les Allemands engagent la 3. Garde Infanterie Division dans la bataille derrière un puissant barrage d’artillerie. Ils parviennent à atteindre Buchanan et Prince’s Streets, repoussant les Sud-Africains qui se préparaient à relancer leur attaque à 3h45 du matin.

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Situation du 18 au 20 juillet. Crédits Wikicommons.

Dans le même temps, la 76th brigade de la 3th Division parvient à occuper le verger entre la route de Flers et North Street, ils assurent ainsi la liaison avec les Sud-Africains qui se battent avec une bravoure incroyable pour repousser toutes les tentatives menées par les Allemands qui attaquent à nouveau le 18 juillet à partir de 8 heures du matin. Malheureusement l’artillerie allemande contraint la 76th brigade à se replier, livrant de nouveau les Sud-Africains à eux-mêmes. Dans l’après-midi, le nord du bois est reconquis par les Allemands. On se bat au corps-à-corps, il n’y a plus d’organisation défensive. Les Sud-Africains se battent par petits groupes isolés les uns des autres. Le 19 juillet, le bombardement allemand reprend. Vers 6 heures du matin, les restes du 3e bataillon sont encerclés à la lisière est du bois totalement dévasté. Un assaut est lancé en milieu de matinée depuis Longueval par les Ecossais pour tenter de secourir les Sud-Africains à cours d’eau et de vivres et évacuer les nombreux blessés. C’est un échec. Dans le bois, de nombreux groupes isolés et à court de munitions se rendent.

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Le bois Delville ravagé par les combats.

Le 20 juillet, la 76th brigade est de nouveau engagée pour soulager les Sud-Africains au bord de l’épuisement. Thackeray a informé Lukin que ses hommes n’étaient plus en état de repousser une nouvelle attaque. L’attaque conjointe du Royal Welsh Fusiliers, du Suffolk Regiment et du 6th Royal Berskshires parvient à atteindre les dernières positions tenues par les Sud-Africains, malgré la poursuite des attaques allemandes. Le lieutenant-colonel Thackeray et deux autres officiers blessés peuvent enfin quitter ce bois du Diable (Devil’s wood, jeu de mot macabre avec le nom français du lieu) à la tête de 140 survivants. Au total, il ne reste plus que 29 officiers et 751 soldats sur les 121 officiers et 3 032 hommes engagés le 15 juillet.

SYLVAIN FERREIRA