Ecrit par Michel DELMOTTE
Le 1er février 1918, à la gare de Lyon- Broteaux, un train rapatrie des prisonniers de guerre libérés compte tenu de leurs blessures ou de leur état de santé. Sur le quai un soldat erre, complètement perdu dans ce milieu.
L’homme n’a sur lui ni papiers ni plaque militaire. Son numéro de régiment a même disparu de sa capote usée par le temps. Les gendarmes l’interrogent, mais ce dernier s’avère incapable de décliner son identité et de dire d’où il vient…
Ceci n’était pas un fait surprenant.
Dès 1914, les médecins vont constater des troubles chez les soldats qui survivent aux attaques meurtrières aux bombardements incessants. On appellera cet état psychologique « l’hypnose des batailles ».
Louis Crocq, psychiatre des armées, décrit cela : « Parmi les rescapés, certains erraient, le visage hagard, le regard absent, ils revoyaient en permanence des scènes de bataille. Ils étaient dans un état d’épuisement physique et psychique ».
D’autres patients souffrent de « l’obusite » qui est comme le rappelle Olivier Farret, un syndrome qui apparait à la suite des bombardements, la victime est choquée avec des paralysies, des hallucinations. »
Aux gendarmes qui le questionnent, il ne répond que par des balbutiements inintelligibles. Ceux-ci pensent entendre « Mongin, Mangin ».
Diagnostiqué « dément », il va être hospitalisé à Bron, puis interné à Rodez durant 16 années. Dans cet hôpital psychiatrique, suite à une enquête approfondie, on lui attribue le patronyme d’Anthelme Mangin que l’on pense avoir reconnu dans les balbutiements.
Octave Monjoin
Plus de 300 familles reconnaissent l’inconnu ! Attirés par la pension.
Cette enquête très approfondie du professeur en psychiatrie de l’asile de Rodez, et après maintes années de recherche le nom d’un soldat rapatrié, Octave Monjoin, est retrouvé. Etant natif de Saint-Maur-sur-Indre, une visite en 1934 permet à « Anthelme Mangin » de reconnaitre son village. Les accompagnants le laisse seul à la sortie de la gare de Saint-Maur. Anthelme retrouve seul, le chemin de la maison de son père et commente les changements de l’église du village, dont le clocher avait été abattu par la foudre pendant son absence.
Communiqué de presse du 10 janvier 1920, le Petit Parisien (BNF-Gallica)
Deux familles, en particulier, réclament toujours un disparu. Lucie Lemay recherche son mari et Pierre Monjoin réclame son fils.
La justice tranchera pour le fils de Pierre Monjoin. Il s’ensuivra des appels et recours en cassation. Une situation qui s’éternisera. En effet, de nombreuses familles intéressées par la pension se déclarent parentes. De nombreuses photos et descriptions seront publiées dans la presse, dont dans le Petit Parisien le 10 janvier 1920.
En 1938, le tribunal de Rodez rend son identité à Anthelme et le remet à son père et son frère. Malheureusement deux mois après ses retrouvailles, le père et le frère trouvent la mort dans un accident.
Octave est alors replacé en asile, il décèdera le 10 septembre 1942. Sans ressources il est enterré dans la fosse commune. En 1944, une personne fortunée, ancien combattant, ayant eu connaissance de ces faits fait exhumer le corps d’Octave et lui offre une sépulture au cimetière de Saint Maur où ne figure que la date de son décès.
Le parcours militaire d’Octave Monjoin
Octave Monjoin, était soldat à la 5ème compagnie du 95ème régiment d’infanterie. Il est blessé à la jambe à Blâmont et est fait prisonnier par les Allemands. Les dates de sa disparition divergent 28 ou 29 août 1914 peut être même lors de la bataille de Sarrebourg le 14 août 1914. Le journal de marche du 95ème e RI est imprécis sur les disparus. On note sur le registre matricule la date du 15 août 1914.
Il aurait été hospitalisé à Karlsruhe.
Copie partielle, de la fiche matricule N° 1595 d’Octave Monjoin.
Il aurait également été successivement détenu dans les camps de Rastadt, Nasbourg, Darmstatd, Nazelin et Wechta.
Le 31 janvier 1918, il est rapatrié étant atteint de « démence précoce », il disparaît d’un convoi entre la Suisse et Lyon !
Sources :
- Jean Yves Le Naour : Le soldat inconnu vivant.
- BNF Gallica.
- Registre des matricules de l’Indre (Classe 1911, bureau de recrutement de Châteauroux.)
- Info Blamont (54).
- Wikipédia.