Ecrit par MICHEL DELMOTTE

Un as de l’aviation dans les turbulences de l’histoire

Au cours de la Première Guerre Mondiale, de nombreux étrangers rejoignent les rangs de l’armée française. Dès le 3 août 1914, nombreux sont ceux qui vivants à Paris manifestent leur soutien à la France et signifient leur volonté de s’engager.

Ils sont 25.000 à rejoindre les armées françaises tels des hommes de lettres comme : le suisse Blaise Cendrars et l’italien Ricciotto Canudo.

Le nombre d’étranger admis à rejoindre l’aviation militaire naissante sera beaucoup plus restreint. On y retrouvera Un américain Jacques Bullard, un japonais Kiyotaké Shigeno, certains auront la reconnaissance de devenir des « As ».

Le titre « d’As » de l’aviation a été reconnu aux aviateurs ayant abattu au moins cinq avions ennemis.

L’aviation française comptera 9 pilotes étrangers qui entreront dans ce cercle de légende.

« AS Etrangers » de l’aviation française au cours de la guerre 1914-1918
Américains  
Raoul Gervais LUFBERYSous-lieutenant16 victoires
David PUTNAMLieutenant9 victoires
Franck BAYLIESSous-lieutenant12 Victoires
Edwin PARSONSSous-lieutenant8 Victoires
James CONNELLYLieutenant7 Victoires
Thomas CASSADYCapitaine5 Victoires
Russes  
Paul D’ARGÉEFFCapitaine9 Victoires
Victor FEDEROVLieutenant5 Victoires
Suisse  
Jacques ROQUESAdjudant5 Victoires

Pavel ARGUEÏEV dit Paul D’ARGUÉEFF

Né le 1er mars 1887 à Yalta en Crimée, Pavel ARGUÉEFF dont le père Wladimir Alexandre Dénarious ARGUEÏEV est ingénieur naval, sa mère serait d’origine française. Il entre à l’académie militaire d’Odessa à 18 ans. Agé de 20 ans il en sort diplômé avec les galons de lieutenant.

Ayant rejoint la France, il est à Paris lors de la déclaration de guerre. Il reçoit alors des ordres de rejoindre les combattants français. Il est incorporé au 131éme régiment d’infanterie.

Lors de la Bataille de la Marne, l’officier est blessé une première fois à la jambe. Promu capitaine en novembre 1914, il se distingue à plusieurs reprises, notamment lors de l’attaque de Vauquois. Il est fait chevalier de la Légion d’Honneur en mai 1915, et après avoir été déclaré inapte pour l’infanterie, il demande à rejoindre l’aviation militaire.

De l’infanterie à l’aviation, le destin est scellé.

Breveté pilote, le capitaine d’ARGUEEF est affecté, en août 1916, à l’escadrille N48, escadrille où vole un autre futur « as » français Jean Navarre. Il n’y restera que peu de temps et ne rencontrera pas les frères NAVARRE. Il est en effet contraint de rejoindre l’aviation impériale russe.

Afin de rejoindre la jeune aviation militaire russe.  Il doit quitter la France pour rallier l’unité de celui qui est alors le plus grand as de l’aviation impériale russe, Alexandre Kazakov. Très vite, il ne tarde pas à montrer ses talents de pilote. Le 10 janvier 1917, il obtient sa première victoire aérienne en abattant un Albatros C.V., ce qui lui vaut de recevoir la Croix de Saint Vladimir avec le ruban et les glaives. Cinq autres victoires suivront ensuite ce qui le fera accéder au statut d’as (après avoir abattu un Brandenburg C.1 autrichien, en juin 1917).

Mais la révolution d’Octobre va mettre sa carrière de pilote entre parenthèses. Opposé aux bolchéviques, il parvient à quitter la Russie et retrouve la France… et les combats puisqu’il est rapidement affecté à l’escadrille SPA 124 « Jeanne d’Arc », issue de N124 « La Fayette » et commandée par le futur capitaine André d’Humières. Le capitaine sera tout aussi populaire dans les airs où il s’avère aussi redoutable qu’au bar de l’escadrille !

Le retour forcé et les exploits !

Affecté à l’escadrille SPA 124 Jeanne d’Arc en mai 1918, le pilote russe est remarqué pour son courage et son endurance que l’on qualifie de « hors du commun ».


Première page du Journal de campagne de l’escadrille avril à juin 1918

L’escadrille SPA 124 est issue du dédoublement de l’escadrille Lafayette (escadrille N124) qui a compter de 1918 ne sera plus composée que d’effectifs américains est prendra le titre de 103éme  escadron de poursuite aérienne


Notre pilote vient de remporter sa première victoire le 1er juin 1918 en détruisant un avion allemand LVG. Il sera également blessé. En juillet, il ajoute trois nouvelles victoires devenant le pilote le plus efficace de l’escadrille.


Contrôle des officiers de l’escadrille SPA 124 en avril mai 1918


Localisation de l’aérodrome de Francheville au lieu-dit « Les fermiers » environ 5 kilomètres à l’ouest de Coulommiers

Vue aérienne de l’aérodrome à l’époque (photo ECPAD)

En septembre, les Allemands ont lancé une offensive qualifiée de « dernière et décisive » et la SPA-124 a de nouveau entamé de violents combats. En l’espace de deux jours, Paul d’Arguéeff a abattu trois avions ennemis, dont un appareil des plus récents, le meilleur avion de chasse allemand le Fokker D.VII. Le pilote russe l’a détruit le 27 septembre en attaquant seul huit avions allemands.

Le 5 octobre, Paul atteint encore deux avions (bien qu’il n’ait pu prouver la destruction de l’un d’entre eux, cette victoire ayant été enregistrée comme non confirmée). La dernière victoire intervient le 30 octobre 1918 avec la destruction d’un biplace allemand. C’est également la dernière, la 26e victoire, de son escadrille. En cinq mois de combats en France, Paul d’Arguéeff remporte neuf victoires et reçoit sa deuxième Légion d’Honneur (le 12 décembre 1918).

L’escadrille sera dissoute en février 1919, mais entre temps cette escadrille de SPAD XIII obtiendra 26 victoires homologuées dont 9 par celui qui prendra le titre d’Aigle de Crimée.

Paul ARGUEFF aura un combat aéronautique emblématique le 27 septembre 1918, seul contre huit avions ennemis il abat un Fokker D.VII.

La vie après le conflit

Paul ARGUEFF compte tenu de son rôle dans les armées alliées ne peut retourner en Russie devenue bolchévique. Il intégrera une compagnie aérienne nouvellement créée la Compagnie Franco-Roumaine qui deviendra la CIDNA « Compagnie Internationale de Navigation Aérienne. »

Il aura peu de temps pour connaître cette aventure, en effet, le 30 octobre 1922, alors qu’il transportait une cargaison de courrier de Prague à Varsovie, par un brouillard épais, son Potez s’écrase contre une colline dans les Tatras, en Tchécoslovaquie.

Son corps est ramené en France, les funérailles auront lieu à la cathédrale Alexandre Nevski à Paris. Il repose désormais au cimetière du Bourget.

En empruntant la première à droite, qui longe le mur du cimetière de la ville du Bourget, on découvre au n° 13 de la section S une tombe entourée d’une grille rouillée avec l’inscription suivante : « Au Capitaine aviateur d’Arguéeff tué le 30 octobre 1922 ». La modeste pierre tombale est usée, rongée par le temps, elle a perdu sa croix juste posée à côté. Sans famille pour l’entretenir, les dégradations peuvent faire disparaître à tout jamais les traces de cet as de la Première Guerre Mondiale. Son souvenir est perpétué par une plaque de marbre gravée au Musée de l’Air et de l’Espace.

Les distinctions et médailles obtenues :

Légion d’honneur : chevalier et officier,

Croix de guerre 1914-1918 et 9 citations à l’ordre de l’armée,

Ordre de Saint George,

Ordre de sainte Anne.

Croix de Saint Vladimir avec glaives.

Sources :

  • Paul Lagneau
  • Association Mémoire Russe
  • Mémoires des Hommes.
  • Albin Denis

Annexe : quelques avions cités.


SPA Deperdussin escadron de chasse

Hansa Brandenburg de l’aviation autrichienne

LVG avion allemand

Fokker D VII Allemand