Ecrit par Michel DELMOTTE

Tout un chacun connaît les célèbres « as » de l’aviation, tels : Georges Guynemer, Manfred Richthoffen, … Mais afin de pouvoir s’honorer de ce titre il fallait avoir vaincu en combat au minimum cinq adversaires. Au cours du premier conflit mondial de nombreux aviateurs n’ont pu obtenir ce titre. Mais beaucoup d’autres auraient pu y prétendre, sans l’obtenir du fait de leur spécialité qui n’était pas la chasse aérienne. Ce sont les observateurs, l’aviation de reconnaissance et les formateurs. Ils n’en n’ont pas moins mérité la reconnaissance et la mémoire.  Jules René Labouret en est un témoignage.

De l’Aube à la Seine et Marne.

Jules René Labouret est né à Hampigny dans l’Aube, le 8 mars 1880. Son père est meunier et sa maman, « mère au foyer ».Dès son enfance, il est passionné par la mécanique, ce qui le conduira à découvrir l’aventure aéronautique.

En 1900, il est tiré au sort pour être appelé au service militaire avec le numéro 61. Il habite alors Longeville en Haute-Marne, sa profession est maréchal-ferrant.

Recensement service militaire en 1900

Par son attrait pour la mécanique et l’aviation naissante, il rejoint la société  Astra à Billancourt, qui construit des aéroplanes.  Le 29 août 1910, il passe son brevet de pilote n°222 sur un biplan Voisin, il avait assuré le financement  de son apprentissage, sur ses économies ! Il poursuit ensuite des vols sur des biplans Wright.

Le pilote Jules René Labouret

Entre temps, âgé de 25 ans,  il se marie le 14 décembre 1905 avec Laure Ida Chalopet à Paris dans le XIème arrondissement.

Pilote, instructeur.

Dès 1909, il pilote des biplans Wright, participe au circuit européen de 1910, aux commandes  un avion Astra-Wright. Il est nommé chef-pilote de la société « Astra ». Il participe au grand concours d’aviation militaire de Reims-Bétheny en septembre 1911. Il y présente un Astra CM biplan triplace militaire. Le 29 décembre 1911, il effectuera un vol à bord du dirigeable « Adjudant Reau » depuis le hangar d’Issy-les-Moulineaux. En 1912, il est affecté au bataillon de sapeurs aérostiers du 1er régiment du génie. Il participe aux tests de lance-projectiles inventé par le lieutenant Terrisse.

26 avril 1912, Villacoublay, le pilote Jules Labouret et son élève pilote Jeanne Pallier, aux commandes d’un biplan Astra.


Jeanne Pallier (1871-1939). Brevet n° 1012, Le 10 septembre 1912, elle vole de Villacoublay à Chartres avec une étape à Etampes. Elle pilote régulièrement son Astra CM, parfois à grande hauteur, d’autres avec des passagères comme Mme Duchange, secrétaire générale de la Stella de l’Aéro-Club-de-France. Elle remporte avec elle le prix Ratmanoff de la passagère ayant accompli le plus long vol sans escale. (Source Musée de l’Air et de l’Espace)

Les compétitions.

Toujours aussi passionné par ce nouveau moyen de voyager, Jules Labouret participe à des compétions, forts nombreuses à cette époque et qui trouvent un engouement particulier par la population, qui se masse afin d’assister aux évolutions des « casse-cous volants ».

En juin 1912, il participe à la compétition aérienne de l’Anjou le 16 et 17 juin, et au 2e tour le 17 juin se classe 7e sur 35 participants.

Il a mis au point un hydro-aéroplane et participe au concours de Saint-Malo et des Iles Anglo-normandes. Il est concurrent avec 12 autres aviateurs à cette compétition du 24 au 26 août 1912. Cette épreuve est dantesque, en effet malgré le mois d’août, les conditions atmosphériques sont épouvantables : bourrasques de vent, mer démontée. (Plusieurs concurrents seront vaincus par les éléments). Il gagnera néanmoins cette épreuve et empochera une somme de 15.000 francs. Cette compétition lui octroiera une renommée particulière.

Astra CM3 source wikipédia

La presse de l’époque évoque cet exploit face aux éléments, comme on peut le lire dans les colonnes du Petit Parisien d’août 1912.

La course du 24 au 26 août 1912 et ses aléas météorologiques.

La sécurité.

Le ministère de la Marine, outre son patronage officiel à l’épreuve d’hydro-aéroplanes assurera, lors des épreuves au-dessus des flots et dans la mesure du possible, la sécurité des pilotes en disposant sur le parcours  Saint-Malo – Chausey – Saint-Hélier neuf torpilleurs et trois contre torpilleurs. Ces derniers sont munis, il est précisé de TSF (Transmission sans fil) afin de faciliter les communications en tant que besoin.

On émet que dans cette épreuve, les risques sont considérablement diminués du fait qu’en cas de chute, les participants ne craindront qu’une baignade forcée, puisqu’ils seront secourus rapidement.

Chacun est émerveillé, car l’hydro-plane et en fait un aéroplane muni de flotteurs spécifiques. Celui-ci n’a plus besoin d’un terrain afin de décoller et atterrir, un plan d’eau, fleuve, rivière, lac ou la mer et on peut évoluer très facilement. C’est assurément une chance pour le futur tourisme aérien !

L’épreuve.

Le premier jour 24 août, un vol de Saint-Malo vers Saint-Servin, Saint-Malo.

Le 25 août : Saint-Malo vers le feu de Rochebonne et le sémaphore du Décollé et retour.

Le 26 août : Saint-Malo, l’ile de Jersey, Saint -Hélier, Les iles Chaussey soit 150 kilomètres avec  arrivée à Saint-Malo.

Les Concurrents  sont :

ConcurrentsAvions
MollaEsnault-Pellerie
TrainAstra-Train
WeymannNieuport
Jean-BenoistSanchez-Besa
RougièreSanchez-Besa
ChambenoisBorel
BeaumontDonnet-Lévèque
BussonDeperdussin
RenauxMaurice Farman
LabouretAstra
BarraPaulhan
Molien (remplacé par Mesguich)Paulhan

La course

Le 24 août : « Rageur, violent, brutal, le vent du sud-ouest, le mauvais suroit redouté des marins s’est levé cette nuit. Au large la houle profonde roule, puissante et inlassable ; les grands vapeurs tanguent, les voiliers bondissent et retombent de lame en lame. Contre les remparts de Saint-Malo, le sable de la grève, soulevé en nuage épais, vient crépiter. C’est, sinon la tempête, du moins du gros temps, du gros temps capable de gêner la navigation. Le bateau du Havre qui, normalement, doit venir ici en douze heures, en mit dix-huit cette nuit. » Au sol, tous se posent la question, qu’adviendra-t-il si les appareils doivent se poser ? D’aucuns pensent : les torpilleurs n’auront qu’à récupérer ce qui reste. Malgré quelques incidents sans gravité une partie des concurrents réalisent l’épreuve, quatre prennent contact avec les flots.

En prenant le départ à 2 heures, Barra sur appareil Paulhan, s’est complètement retourné en rade. Barra n’a du reste pas été le seul à prendre un bain, Mesguich et Weymann sont également tombé à l’eau. Enfin, Beaumont, sur lequel on fondait les plus grandes espérances, a dû rester au port, son biplan Donnet-Lévèque, peu au point, n’a pu s’élever dans le vent qui régnait. Les autres concurrents, tant bien que mal, ont réussi à effectuer le parcours. C’est Molla, le pilote de Rep, qui a fait le meilleur temps, couvrant les quelque 25 kilomètres que comportait l’épreuve en 13 minutes 37 secondes. Il n’est cependant pas classé premier, les autres concurrents, qui, tous, emmenaient des passagers, ayant profité des bonifications de temps prévues au règlement. »

« Voici du reste, quel a été le classement officiel :

  • Labouret (2 passagers), sur biplan à moteur Gnome, en 11 min 40 s 3/5. Temps réel 17 min 57 s 4/5.
  • 2. Busson (1 passager), sur monoplan Deperdussin, en 13 min 3 s 2/5. Temps réel 15 min 40 s
  • .3. Molla, en 13 min 37s. 3. Renaux (2 passagers), en 15 min 11 s.
  • 4. Jean-Benoist (1 passager), en 15 min 46 s.
  •  5. Rougière (1 passager), en 17 min 34 s.

Ce dernier concurrent a été déclassé comme n’ayant pas accompli le parcours réglementaire. Il pourra néanmoins prendre le départ demain, ainsi que Weymann et Mesguich. Dans son édition du 26 août 1912, Le Petit Parisien rend-compte de la seconde journée de cette éprouvante compétition.

Le 25 août 1912 sera plus calme, de nombreux visiteurs pourront apprécier les vols sur les flots bleus. Un accident, après le décollage l’avion de Mesguich tombe dans un champ près de Rochebonne, il sera sérieusement blessé et hospitalisé.

Le 26 août 1912, le temps se gâte, le vent a tourné et le baromètre chute, un coup de vent s’annonce !

Cet article se termine avec une évocation de la troisième et dernière épreuve, la plus redoutée, un Saint-Malo – Jersey et retour soit quelques 150 kilomètres au-dessus des flots. Las sans doute de n’avoir pu vaincre définitivement hier les énormes oiseaux de mer, le vent ce matin s’est apaisé et, sur la plage, doucement la mer vient mourir. Le soleil, enfin parait vouloir se mettre de la partie ; toute la côte a pris un air de gaité.

L’avion Astra de René Labouret

« Sur les remparts, la foule des Malouins contemple les préparatifs de départ. Un peu anxieuse, dans la tribune de la presse à l’entrée du môle, la grande-duchesse Anastasie de Russie, accompagnée de deux dames d’honneur, suit attentivement les préparatifs »

Puis c’est l’envol : « Benoist le premier s’envole, décollant aisément. Il prend aussitôt une centaine de mètres d’altitude, un instant, on peut le suivre des yeux puis il disparaît au large. Molla, Renaux, Labouret, Weymann s’en vont aussi quelques instants après, tous très bousculés par les rafales, tous courageux, tous admirables. »

Après la pause de Jersey : « Le premier qui reprit son vol fut Labouret, qui quitta Jersey à 10 h 9 min ; suivi de Weymann à 10 h 18 min 55 s ; de Benoist, à 10 h 22 min 53 s et de Molla, à 10 h 51 min. A Saint-Malo nous étions quelque peu anxieux, car le vent avait considérablement augmenté d’intensité. Notre inquiétude fut de courte durée. Bientôt, en effet, nous vîmes apparaître à l’horizon le biplan de Labouret suivi à peu de distance du monoplan de Weymann. »

Chaque pilote reconnut que l’épreuve fut dure et même très dure. Le classement général de l’épreuve après ces trois journées intenses permit de constater que la première place revenait à Jules Labouret, sur biplan, hélice Chauvière, 9 points, qui gagne le prix de  15.000 francs.

La guerre survient.

L’aviateur est rejoint par la mobilisation.

Il avait effectué son service militaire au 2e régiment  du génie, en tant que sapeur aérostier et le 2 août 1914, il rejoint le 2e groupe d’aviation à Saint Cyr l’Ecole.

Fiche Matricule de Jules René Labouret

Depuis 1912, l’armée française y a créé cinq escadrilles de six avions chacune, dont deux sont positionnées à Saint-Cyr-l’École et une à Buc en Seine et Oise. Le centre aéronautique de Saint-Cyr, qui regroupe désormais l’aviation et l’aérostation, est alors sous les ordres du capitaine Éstévé. Il occupe le terrain en bordure de la rue Docteur-Vaillant, alors appelée « route aux cochons ». C’est également en 1912 qu’est créée la base aérienne 272, sous le nom de caserne Charles-Renard, en hommage à l’ingénieur et inventeur français mort en 1905 et qui fut un pionnier de l’aviation.

En août 1914, au début de la Première Guerre mondiale, le camp de Mourmelon dans la Marne, est replié à Saint-Cyr-l’École, et pendant le conflit, le champ d’aviation devient un énorme atelier et un centre de réparation des appareils endommagés qui arrivent par trains entiers. Quelque 4.000 personnes, civiles et militaires, y travaillent en 1917. Jules Labouret participe à l’évacuation des matériels, il est nommé  caporal le 10 décembre 1914.

René Labouret aux commandes d’un avion  Astra

Le 1er février 1915, il est affecté à l’Ecole d’aviation d’Avord dans le Cher, et met ses compétences à l’instruction et la formation des futurs pilotes. Il instruit alors  plus de 500 pilotes.

Le 23 juillet 1912, l’école militaire d’aviation est créée à Avord. Équipée alors de Blériot XI et de biplaces Savary, elle est chargée de former les pilotes de l’aviation militaire. Elle restera à Avord jusqu’au début de la Second Guerre mondiale.

Promu sous-lieutenant, au 8e régiment d’artillerie de campagne, il est détaché à l’aviation.

Le 21 mars 1916, au 1er groupe d’aviation de l’Ecole d’aviation de Châteauroux,   il fait passer 1.048 brevets à de futurs pilotes.

L’école d’aviation militaire est installée le 25 octobre 1915 sur 101 hectares, réquisitionnés le long de la route nationale 725 au lieu-dit « la Martinerie ». Cette école a pour mission la formation initiale des pilotes durant un mois et le perfectionnement des élèves-pilotes de liaison (au niveau du corps d’armée) et d’observation pendant deux mois. Elle enseigne le maniement de la T.S.F et des appareils photographiques. L’école est dotée d’avions Caudron et Farman. À la fin de la guerre, 2 450 brevets y ont été délivrés dont 297 à des élèves-pilotes américains.

Jules René Labouret est nommé commandant de l’Ecole de Châteauroux-Vatan qui forme les pilotes américains.

Ecole de Châteauroux, juin 1917
René Labouret, Sous- lieutenant Bernard, Adjudant Raymond Pierre
Un officier surnommé « ciment armé »

Le 11 janvier 1917, il reçoit la plaquette spéciale créée pour le personnel-navigant des écoles d’aviation militaire décernée par Aéroclub de France.

Il est promu lieutenant le 21 mars 1918.

Il formera en suite les premiers pilotes américains à Issoudun. Ce pilote chevronné  totalisera 1.820 heures de vol et 8.731 atterrissages.

L’après-guerre

Démobilisé en 1919, mais resté à la disposition des groupements d’aviation il retournera à la vie civile.

Il s’établira à Lagny-sur-Marne au 26 rue des Tanneurs ayant créé une entreprise de transports automobiles.

Il sera nommé Commissaire de l’Aéro-club de France en 1932. A cette même date, il devient pilote examinateur du centre inter-club du terrain d’aviation d’Isles-les-Villenoy.

René Labouret a activement contribué à l’essor l’aviation et de la future armée de l’air française. Lieutenant, il est fait Chevalier de la Légion d’Honneur et a reçu la médaille de l’aéronautique.

Le 6 janvier 1962, il s’éteint à l’âge de quatre-vingt-deux ans,  34 avenue du Général Leclerc à Lagny-sur-Marne. Il est inhumé  le 10 janvier suivant au cimetière de la  commune.

Sépulture de Jules René Labouret et de son  épouse au cimetière de Lagny-sur-Marne

Un Latignacien d’adoption venait de nous quitter. Ce pionnier de l’aviation et un instructeur chevronné doit rester dans nos mémoires.

Article de la Marne,  janvier 1962. Merci à Raymond Pezant pour ce document

 Je remercie bien vivement Albin Denis, historien des escadrilles d’aviation de 1914-1918, pour ces précieux renseignements et informations ainsi que les documents photographiques.

Sources : Registres d’Etat-civil de Hampigny, Paris, Lagny-sur-Marne, registres matricules de l’Aube et de Paris. Annuaires des Vieilles Tiges, Le Petit Parisien BNF, Musée de l’Air et de l’Espace.