Ecrit par Michel DELMOTTE

Le blason de la ville de sainte-adresse

L’invasion de la Belgique au début du premier conflit mondial, la résistance de l’armée belge face à l’envahisseur allemand ne se terminera pas par un exil ou une reddition de la nation belge et de son roi Albert 1er. Voici l’étonnante histoire de la destinée de Sainte Adresse, petite localité balnéaire voisine du Havre, et qui y trouvera la postérité.

Une petite chronique qui nous emmène d’Anvers en Normandie.

Octobre 1914 Anvers.

Le 6 octobre vers 18 heures un témoin habitant Anvers raconte : «  La situation empire graduellement. Le son du canon s’est fait entendre toute la nuit, je m’attendais au bruit du premier obus sur la ville. M’éveillant ce matin je constate que tout est intact. On évoque qu’entre Waerloos et Lierre, les shrapnells belges ont occasionné des pertes sévères aux allemands et ce, grâce aux renseignements excellents des aviateurs belges.

Le journal La Métropole imprime :

« Aux Armes, chaque homme valide, un fusil ! Ne servez pas les barbares !  Sus à l’ennemi. » Suit un appel aux volontaires. Et également les consignes à suivre en cas d’un bombardement massif.

  1. « Au premier projectile tombant dans la ville, réfugiez-vous dans les caves n’oubliez pas de prendre des provisions.
  2. Bloquez les entrées de vos caves avec des matelas et des sacs de terre.
  3. Ayez des cruches pleines d’eau à portée de main afin d’éteindre le feu.
  4. Coupez le gaz.
  5. Fermez vos tiroirs à clefs.
  6. Assurez-vous d’une issue et tenez-vous dans un coin où il y ait des chances pour que le mur ne vous tombe pas dessus.
  7. Ces précautions prises, vous n’avez pas à craindre le bombardement. »
La Nièpe à Lierre ©wikipédia

Le 7 octobre en matinée, Anvers présente un visage inhabituel, toutes les boutiques sont closes sauf les marchands de bonbons. La population s’enfuit rapidement en emportant sur le dos leurs objets de ménage.

Deux bateaux bondés de fugitifs sont partis à 5 heures pour Tilbury. Le bateau d’Ostende est parti à 11 heures. Depuis 10 heures le bureau du télégraphe est fermé, toute communication avec le monde extérieur est impossible sauf par le chemin de fer.

Malgré tout, les nouvelles qui parviennent sont rassurantes, on dit les forts intacts, l’ennemi aurait des difficultés à percer la deuxième ligne de défense.

Le même jour en soirée. On apprend que la situation empire !

Notre témoin nous précise, « je jette ces notes heure par heure, mais j’ai peur d’oublier des faits compte tenu de la rapidité de l’évolution des événements. »

La garde civique a été licenciée. L’armée belge s’est retirée de la position qu’elle occupait sur la Nèthe. Elle se trouve concentrée à Vieux-Dieu à 8 kilomètre d’Anvers.

J’apprends que tous les animaux du jardin zoologique ont été tués par ordre des autorités. Une mesure de précaution au cas où un bombardement briserait les cages et permettrait aux animaux de s’échapper. Les plans des édifices historiques ont été adressés aux autorités allemandes afin d’éviter les tirs d’artillerie. Nous avons été survolés par un aéroplane allemand chassé par la mitraille, puis deux autres appareils sont revenus.

8 octobre, juste après minuit. Un sifflement d’obus me parvient suivi d’une explosion, le bombardement a commencé. Je sors dans la  rue et entend les autres projectiles qui s’abattent sur Berchem. Les voisins et les gens sortent dans la rue puis se précipitent dans les caves.

Toutes les femmes se sont réfugiées dans la cave, nous sommes sept hommes avec le capitaine de la garde civique à l’étage. Aucun obus n’atteint le quartier, le propriétaire de l’hôtel nous a fait sortir de nos lits  puis s’est enfui ! Il nous laisse la garde de l’établissement.

Vers 6 heures, la situation devient extravagante sur le quai Jordaens où deux navires sont au départ pour Ostende, 10000 personnes attendent pour embarquer et il n’y a que 800 places. On assiste à des scènes de panique et à une foule houleuse et chaotique.

Tout indique que la ville d’Anvers va tomber.

Le 12 octobre, le journal « Le Temps » annonce : « Le réduit national belge est tombé aux mains de l’ennemi ! »

Installation du gouvernement à Saint Adresse.

Le 14 octobre les ministres belges adressent au peuple une proclamation :

« Le gouvernement belge quitte aujourd’hui Ostende. Il s’établira provisoirement au Havre, où la noble amitié du gouvernement de la République française lui offre en même temps que la  plénitude de ses droits souverains, le complet exercice de son autorité et de ses devoirs. »

En effet, le 13 octobre, le président Poincaré avait eu connaissance des intentions du roi Albert il avait indiqué et télégraphié son intention de lui offrir l’hospitalité dans une localité française. La réponse de sa majesté est la suivante :

« Monsieur le Président,

Je suis profondément touché de l’hospitalité que la France est disposée à offrir si cordialement au gouvernement belge et des mesures que le gouvernement de la République prend pour assurer notre pleine indépendance et notre souveraineté. Nous attendons avec une inébranlable confiance l’heure de la victoire commune, luttant côte à côte pour une cause juste. Notre courage ne connaîtra jamais de défaillance.

Je vous prie de croire, monsieur le président, à mon inaltérable affection.

Albert. »

Le même jour le gouvernement français établi à Bordeaux, dans une note annonçait la suite donnée à cette demande et son acceptation. Il est mentionné que celui-ci confond  dans sa sollicitude l’armée belge avec l’armée française. Il est précisé « que le gouvernement du roi assurera au Havre la plénitude de ses droits souverains… »

A cette même date de Dunkerque, Charles de Broqueville, président du Conseil et ministre de la guerre belge, adresse à Raymond Poincaré un télégramme de remerciements et mentionnant en particulier qu’il se réjouit de l’union de la France à la Grande-Bretagne et à la Russie.


Le Baron Charles de Broqueville, Chef de Cabinet et ministre de la guerre

Les ministres, les personnels des ministères, le Nonce, les diplomates quittent la Belgique à bord de la malle d’Etat « Peter de Coninck » pour Le Havre et suivi du navire « Stad van Antwerpen ». Ils seront accueillis par Monsieur Augagneur ministre de la Marine.

Le « Peter de Coninck » ©collection personnelle

Le maire du Havre Monsieur  Pierre-François Morgand annoncera par affichage l’arrivée du gouvernement belge, invitant la population à un accueil chaleureux.

Le comte Henry Carton de Wiart, ministre de la justice,  évoque ainsi l’arrivée des navires. Et il note : « Ce fut en pleine nuit que nous abordâmes au Havre. En dépit de l’heure indue, toute une foule nous attendait sur la jetée et nous fûmes accueillis par des cris tels que “Vive la Belgique, vivent nos sauveurs !” qui mirent un peu de baume sur nos cœurs douloureux. »

 Mais, tout cela faillit rapidement mal tourner. En effet, si les ministres belges sont acheminés à l’hôtellerie de Sainte-Adresse, et il s’avère que le représentant de la Turquie s’y trouve aussi ! Or les relations avec l’Empire Ottoman sont très tendues bien que celui-ci soit encore neutre dans le conflit.

Henry Carton de Wiart nous rapporte comment une solution fût trouvée afin d’éloigner ce représentant :

« Comme sa présence en cet endroit le mettait à même de connaître bien des choses, dont il pouvait informer son gouvernement, les autorités françaises, en ce temps d’espionite aiguë, voyaient de très mauvais œil la présence de ce diplomate ottoman dans une place et dans un port où les opérations militaires et navales, de même que les informations politiques qui y affluaient, pouvaient fournir matière abondante à ses observations et à ses rapports. La difficulté fut bientôt tournée de façon ingénieuse. Le ministre turc fut avisé que son traitement qui lui était envoyé de Constantinople demeurait retenu à sa disposition dans une banque de Marseille. Cette banque l’informa que s’il désirait toucher cette somme et celles qu’il attendait encore, un compartiment lui était réservé du Havre à Marseille et que toutes facilités personnelles lui seraient données pour ce voyage. Pressé par la faim, il profita de cette offre si aimable et nous n’entendîmes plus parler de lui. »

Le gouvernement belge s’installera à Sainte Adresse cité balnéaire jouxtant Le Havre.

Le roi des Belges, Albert 1er, quant à lui, y possèdera la Villa Roseraie, qu’il ne fréquentera pour ainsi dire pas.

Le siège du gouvernement occupera « l’Hôtellerie », le corps diplomatique l’Hôtel des Régates ainsi que différents immeubles voisins.

La villa Louis XVI Ministère de la Guerre Belge ©Collection personnelle.

Albert 1er reste avec ses troupes

Albert 1er Roi des Belges ©L’Illustration collection personnelle

Après avoir retenu plus de 100000 allemands autour d’Anvers avec ses 3 ceintures fortifiées (du 27 septembre au 10 octobre 1914), l’armée belge se retranche derrière l’Yser (petit fleuve côtier franco-belge). Elle tiendra 4 années ce dernier lambeau de territoire libre entre l’Yser et la Mer du Nord.

Le 25 octobre 1914, le roi Albert 1er ordonne que soient inondées les zones de combat dans la plaine du fleuve YSER pour y stopper l’avancée allemande.
Au fil des semaines, le front se fige autour d’Ypres (aujourd’hui ville d’environ 34 000 habitants et de Dixmude en Flandre belge).



La reine Elisabeth quant à elle restera très proche de  son peuple qui souffre de ce conflit et de cette occupation très dure.

Installation du gouvernement belge © La panorama de la Guerre. Collection personnelle

Autre particularité diplomatique, Monsieur Klobukowsky, ministre de France à Bruxelles qui a fait partie du transfert utilisera pour ses documents officiels un timbre modifié avec l’inscription : « Légation française auprès du gouvernement belge, Le Havre ».

La cité de sainte Adresse gardera sa nationalité française mais les quelques 12000  belges qui sont hébergés donneront une extraterritorialité à cette commune. De 1914 à 1918, toutes les décisions de notre pays voisins et ami seront prises en Normandie.

Un bureau de poste spécial permettra d’acheminer un volume de  courrier important. Donnant une autre notoriété à cette commune. C’est en effet un des seuls cas où l’on trouve du courrier affranchi avec des timbres d’une autre nation. Ici des timbres belges oblitérés avec des cachets français. Un autre bureau fonctionnera au Havre.

Un courrier recommandé de Sainte adresse à Romanshorn en Suisse, parti le 11 avril 1914 et arrivé le 15 avril. Oblitération du Bureau du Havre : Le Havre (spécial)©collection personnelle.

Carte postale avec les timbre belges au 8 novembre 1915, oblitéré avec le cachet de Sainte Adresse et mention « Poste Belge-Belgische Post »
© collection personnelle.

Et désormais !

La ville de Sainte Adresse, ainsi que la région du Havre ont gardé le souvenir et l’attachement de cette période tragique de notre histoire commune, mais aussi d’une franche hospitalité qui a permis à nos amis belges de continuer une lutte pour la liberté sans être exilé sans pouvoir. Le 4 octobre 2014, le roi Philippe de Belgique était présent aux commémorations officielles.

Sources : L’Illustration, le Panorama de la Guerre, La RTB (Radio-Télévision Belge), Généahistoire Normandie.