Parmi les nombreux volontaires étrangers qui s’engagent à la Légion Etrangère au début du conflit, on compte de nombreux artistes ou écrivains comme le suisse francophone Blaise Cendrars qui écrira “La main coupée“, mais il en est un autre, moins connu du public français : le poète américain Alan Seeger dont nous commémorons aujourd’hui le centenaire de la disparition au cours de la bataille de la Somme.

Né à New York en 1888 d’une famille aisée, Alan Seeger est sensibilisé très tôt à la littérature et à la poésie en particulier. Il écrit régulièrement dans le journal familial édité par ses parents. Il fait ses études dans un lycée privé puis intègre en 1906 la prestigieuse université d’Harvard où il mène de brillantes études de littérature et publie ses premiers poèmes dans le Harvard Monthly. Diplomé en 1910, il revient à New York et s’installe au Greenwich Village, le quartier des artistes, où il mène une vie de bohême au grand désespoir de sa famille. En 1912, ses parents l’envoie à Paris pour étudier à la Sorbonne mais une fois en France, il poursuit son style de vie excentrique et continue d’écrire de la poésie. Il écrit des poèmes et des artciles sur la politique et son évolution à la veille de la guerre. Certains sont même dans Le Mercure de France. Alors qu’il est à Londres au moment de la déclaration de guerre, il se précipite à Paris pour s’engager avec 40 autres citoyens américains à la Légion Etrangère le 24 août 1914 au sein du 2e régiment de marche du 2e régiment étranger. Il est affecté à la 1re section de la 11e compagnie du 3e bataillon.

roads_seeger2Des combats auxquels il participe sur l’Aisne en 1914-1915, il en fait un récueil de poèmes “The Aisne” dans lequel il raconte sa première expérience des combats aux abords du Chemin des Dames. En septembre 1915, il participe à l’offensive de Champagne qu’il décrit dans les lettres qu’il envoie à sa famille. L’ensemble de son écriture est empreinte de fatalisme à l’égard de la mort qu’il conçoit comme une fin noble et belle pour un soldat qui défend un idéal. Le plus célèbre d’entre eux est bien sûr “I have a rendez-vous with Death” (“J’ai un rendez-vous avec la mort”), qui sera publié en décembre 1916. Soulignons que c’était un des poèmes préférés du Président John F. Kennedy qui demandait souvent à son épouse de lui réciter.

“I have a rendezvous with Death

At some disputed barricade,

When Spring comes back with rustling shade

And apple-blossoms fill the air—

I have a rendezvous with Death

When Spring brings back blue days and fair.

It may be he shall take my hand

And lead me into his dark land

And close my eyes and quench my breath—

It may be I shall pass him still.

I have a rendezvous with Death

On some scarred slope of battered hill,

When Spring comes round again this year

And the first meadow-flowers appear.

God knows ’twere better to be deep

Pillowed in silk and scented down,

Where Love throbs out in blissful sleep,

Pulse nigh to pulse, and breath to breath,

Where hushed awakenings are dear …

But I’ve a rendezvous with Death

At midnight in some flaming town,

When Spring trips north again this year,

And I to my pledged word am true,

I shall not fail that rendezvous.”

Victime d’une forte bronchite, il est hospitalisé de février à avril 1916 à Paris puis à Biarritz avant de rejoindre son unité juste avant le début de l’offensive alliée sur la Somme. Le Régiment de Marche de la Légion Etrangère est alors intégré à la Division du Maroc du 1er Corps d’Armée Colonial (C.A.C). Le 4 juillet, jour de la fête de l’Indépendance des Etats-Unis, Seeger et ses camarades doivent s’emparer du village de Belloy-en Santerre. La veille il écrit une dernière lettre à un ami dans laquelle il fait part de ses sentiments avant de monter à l’assaut : “Demain nous partons à l’assaut. Ce sera probablement la plus grande bataille à laquelle j’ai participé. Nous avons l’honneur d’être de la première vague. Je t’écrirai bientôt si je m’en sors. Si ce n’est pas le cas, mon seul souci terrestre ce sont mes poèmes. Je suis heureux d’être dans la première vague. Si tu es dans ce type d’engagement, il est préférable d’être à la limite. C’est une expérience suprême.

Le lendemain à l’heure H, l’un de ses amis témoigne : “A 4 heures du matin l’ordre de se préparer pour l’attaque arriva… les compagnies formant la première vague étaient déployées sur la plaine. Les baïonnettes brillaient dans les blés déjà bien hauts… Après le premier bond en avant, nous nous sommes couchés sur le sol, et j’ai vu la 1re section nous dépasser et vers mouvement vers l’extrêmité droite du village… J’ai vu Seeger et je l’ai appelé en lui faisant signe de la main. Il m’a répondu par un sourire. Puis il disparut bientôt hors de vue et ce fut la dernière fois que je vis mon ami.” Quelques mètres plus loin, les mitrailleuses allemandes ouvrent le feu sur les légionnaires qui abordent le village, touchant le poète qui tombe mort… Il n’avait pas manqué le rendez-vous prophétique qu’il avait pris avec la Mort. Il sera décoré à titre posthume de la Médaille Militaire et de la Croix de Guerre avec citation à l’ordre de la division : “Jeune légionnaire, enthousiaste et énergique, aimant passionnément la France. Engagé volontaire au début des hostilités, a fait preuve au cours de la campagne d’un entrain et d’un courage admirable. Glorieusement tombé le 4 juillet 1916.”

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Ces restes ont été inhumés selon sa volonté près du lieu où il est mort, dans l’ossuaire n°1 de la nécropole nationale de Lihons (Somme). Comme tant d’autres légionnaires ce 4 juillet 1916, il était devenu Français non par le sang reçu, mais par le sang versé pour que vive la France.

SYLVAIN FERREIRA