Écrit par Julia BOURNEUF

Quand on aborde la question des personnes restés au pays durant la Grande Guerre, il est souvent question des lettres de soldats envoyés à leurs enfants, du travail des femmes pour maintenir l’économie du pays ou encore de l’affection que continuaient de s’envoyer les amoureux séparés. En revanche, une thématique, tout aussi déchirante, n’a que très rarement était abordée : Le cas des mères. Au cours de mes divers recherches, je suis tombée sur plusieurs lettres et cartes postales. À la lecture de l’une d’elles, j’ai rencontré les mots suivants : ‘’ En espérant que Luc revienne vite ‘’. Je me suis donc naturellement dit qu’il devait s’agir du mari de la personne à qui était adressée la lettre. Il ne m’a suffi que de quelques mots de plus pour comprendre que la situation était bien plus tragique que cela : ‘’ Quelle douleur cela doit-être pour une mère ‘’. Je me suis alors rendue compte que ce sujet était si rare qu’il ne m’est même pas venu à l’idée, au premier abord, qu’il pouvait s’agir de ce cas de figure. Et pourtant, n’est-ce pas aux mères que les soldats demandaient du linge propre ou n’est-ce pas d’elles dont parlent la plupart d’entre eux dans leurs mémoires ? Mais alors, quel a été leur point de vue sur le conflit ? Comment et quelles sources utiliser afin d’obtenir des témoignages concrets alors que la plupart des études se concentrent sur le point de vue des soldats eux-mêmes ? Également, comment une mère fait-elle pour continuer de témoigner de son affection à un enfant parti au front ? Ont-elles décidé de leur faire part de leur inquiétude ou au contraire, dans un élan de patriotisme, de ne pas leur évoquer leur souffrance afin de les laisser faire leur devoir ? Nous étudierons dans un premier temps le contexte dans lequel les mères se trouvent en ce début de XXème siècle, avant d’analyser les quelques témoignages directs que nous pouvons retrouver pour enfin les confronter avec les actes concrets qu’ont pu effectuer les parents pour leurs enfants partis au front.

Partie I) Contexte social

            Afin de comprendre ce qu’est être mère pendant la Grande Guerre, il faut avant tout comprendre ce qu’est être une femme, puis une mère, au début du XXème siècle. Le sujet est complexe et demande d’explorer un contexte social qui diffère profondément du nôtre. Cela ne change absolument en rien les sentiments d’un parent envers son enfant mais la structure bâtie depuis l’enfance joue grandement dans le rôle qui était socialement imposé aux femmes au début du XXème siècle.

            Nous le savons, naître femme au XXème siècle implique de se conduire d’une certaine façon et d’avoir un parcours de vie attendue par la société. Ce parcours de vie est celui auquel on s’attend pour l’époque et on constate assez rapidement que les enfants nés hors-mariage sont mal vus, que beaucoup sont abandonnés car venus au monde d’une union non-officielle. Les femmes n’ont alors pas d’autres choix, quand elles sont précaires et abandonnées par le père mais aussi par la famille qui crierait au scandale, que de laisser leurs enfants dans les différents établissements les prenant en charge[1]. Cependant, l’avant-guerre voit des progrès en matière de féminisme. Avant 1912 existait une loi protégeant les pères fuyards et refusant aux mères seules de rechercher l’individu ayant délibérément échappé à ses responsabilités. Cette loi est abolie et permet donc aux mères (et plus largement aux femmes) d’exercer un poids qu’elles n’avaient pas auparavant et de responsabiliser les pères fuyards afin de les retrouver juridiquement. Cependant et malgré ces mesures, durant la Grande Guerre, le nombre de visites de femmes seules dans les hospices afin d’y faire confier leurs enfants ne cessent d’augmenter et les raisons demeurent les mêmes. Il ne sera pas possible ici de faire une étude approfondie sur le sujet mais l’article de Rivière Antoine, Mères sans mari. Filles-mères et abandons d’enfants (Paris, 1870-1920), permet de se rendre compte de la pression sociale qui est exercée sur les femmes durant la période de la Grande Guerre. Les hommes partis au front, elles doivent, en plus d’assurer la tenue du pays, continuer de se comporter comme l’attend les bonnes mœurs, en dépit d’hommes n’ayant parfois pas la morale comme vertu principale. Un rapide constat qui pourrait être effectuée afin de ne pas paraphraser l’article de Rivière Antoine serait que les principales femmes étant dans l’obligation financière et morale d’abandonner leurs enfants sont dans la grande majorité des ouvrières ou des paysannes. Si cela peut sembler hors-sujet pour notre étude mais c’est en réalité un fait qui va fortement influencer les sources de notre dossier. En effet, les enfants ayant été confiés aux hospices avant la Grande Guerre sont donc des adolescents ou des adultes ayant grandi sans mère à proprement parlé. Constat étant que les enfants ayant une mère pouvant leur écrire et donc faire l’objet d’une étude documentaire ici sont de familles aisées pour la majorité. Il y a bien évidement des mères ouvrières ou paysannes ayant leurs enfants partis à la Guerre mais les sources documentaires restent moindre dû à ce fait sociétal de la fin du XIXème et du début du XXème. Il faut donc bien garder cela en tête tout au long de notre étude afin de se projeter le contexte social dans lequel sont les mères et les soldats de ce dossier.

Outre le fait de se marier, d’avoir des enfants et de s’en occuper comme le convient l’attitude de l’époque, il ne faut pas négliger l’importance religieuse qu’un tel rôle sous-entend. Être une mère, et plus largement un parent dans cette période, ne donne pas seulement la responsabilité de s’occuper des besoins physiques et d’éducation de son enfant mais également de s’assurer que son parcours de vie lui assurera de bénéficier du paradis après sa mort et des grâces de Dieu durant sa vie. C’est notamment la raison pour laquelle les bébés sont directement baptisés après leur naissance, dû au fort tôt de morts enfantines à cette époque. Ces attentes ne sont pas explicites, il n’y a pas une ligne de conduite précise à suivre dès la naissance mais ce sont des mœurs implantées dans la société et qui sont mal vu de transgresser. Précisons cependant une évidence, un parent reste un parent, peu importe la ligne de conduite qu’il choisit (ou non) d’emprunter. Quoi qu’il en soit, il existe des attentes de la société quand on devient mères, des attentes qui deviennent au fur et à mesure personnelles et qui finissent par tenir à cœur la personne-même, sans qu’elle ne soit consciente que ces attentes sont à l’origine sociale. Dans un contexte où la natalité est un facteur important et où les nouveaux nés n’ont pas un taux de survie comme le nôtre, il est primordial pour la société que les familles fassent des enfants. Le conditionnement à la parentalité se fait donc de diverses manières et pas de n’importe quelle façon. Pour mieux structurer les attentes d’une mère envers son enfant avant et pendant la guerre, nous pourrions citer les points suivants :

Education : apporter une éducation correcte à son enfant, qu’il sache se tenir, bien s’exprimer et évoluer dans les mœurs de la société. Ces mœurs comptent d’un nationalisme bien plus ancré. Les enfants n’allaient pas à l’école jusqu’à 18 ans comme aujourd’hui mais le parent jouait un rôle attendu dans l’éducation de son enfant. Il devait lui inculquer des valeurs familiales, sociétales mais aussi patriotiques. Il ne faut pas oublier qu’une guerre très importante a eu lieu quelques décennies auparavant, en 1875 et que les esprits restent marqués par la potentialité d’un nouveau conflit et donc de la défense du pays.

S’assurer qu’il devienne un futur parent : que cela soit l’envie de devenir grand-parent ou l’association à une autre famille, il est important au XXème siècle que son propre enfant fonde à son tour une famille. Cela se prononce par le fait de s’occuper des frères et sœurs, de savoir se charger très tôt d’un enfant. Malgré ce que l’on pourrait croire, ce rôle parental n’est pas destiné uniquement qu’aux petites filles et responsabilisent très tôt l’individu de manière moral et social.

Religieuse : Il est important que l’enfant soit chrétien. La présence d’autres religions en France et en Allemagne au début du XXème siècle est minoritaire et un enfant n’ayant pas fait sa communion est très rare voire improbable. La vie religieuse est une part intégrante de l’éducation et n’est pas dissocié comme aujourd’hui.

Affectueuse : même si avoir une relation privilégiée avec son enfant n’est pas une attente particulière de la société, il est très rare de trouver des témoignages d’enfants n’éprouvant aucune affection pour leurs parents ou l’inverse, et ce, peu importe le contexte social. Même s’il est naturel de ressentir une affection débordante pour son enfant, nous pourrions nous demander si elle se manifestait de la même façon qu’à notre époque. Nous pourrions en effet nous demander si l’affection se démontre par le biais de donner une bonne éducation à son enfant et toutes les clés pour s’en sortir dans la société ou si cela se reflète par l’aveu explicite des sentiments. Nous répondrons à cette question au cours de ce dossier à l’aide des quelques témoignages directs ou indirects que nous avons pu recueillir.

            Maintenant que nous connaissons ces points et les exigences sociétales qui reposaient sur les épaules des mères au début du XXème siècle, nous pouvons plus largement nous pencher sur ce qui, concrètement, est d’être une mère à cette période et comment cela se retrouve ou au contraire, s’est transformé, avec les évènements de la Grande Guerre. Précisons, avant de débuter la seconde partie, qu’il n’y a pas que le cas des soldats qui est à retenir car, ne l’oublions pas, les femmes ont été également mobilisées en tant qu’infirmières. Une mère peut donc très bien avoir une fille partie pour le conflit, dans ce rôle.

Partie II) témoignages directs avec analyse

            Après avoir passé plusieurs mois à collecter et à analyser diverses lettres et témoignages de parents durant la Grande Guerre, je suis arrivée à un constat que je développerai dans cette deuxième partie. Pour se faire, je me baserai essentiellement sur le fond Louis Pontaud, un soldat originaire du Gard pour lequel ont été conservés un ensemble d’une richesse documentaire exceptionnelle et archivés en collection privée. En effet, pour le cas Louis Pontaud, nous possédons à la fois les lettres envoyées à ses parents mais également les réponses de sa famille et ce, du début jusqu’à la fin de la guerre. Une première analyse de forme peut être faite :

Enveloppe à destination de Valentin Pontaud, père de Louis Pontaud

– L’enveloppe de la lettre envoyée par Louis Pontaud est adressée au père ; Valentin Pontaud. En effet, le père fait, à cette époque, office d’image de la famille. Quand un soldat souhaite envoyer un message à ses parents de manière générale, il le fait en mettant le nom du père. On peut alors supposer que le père, Valentin Pontaud, est également parti à la guerre ou alors que c’est la mère qui s’occupe de la correspondance. Quoi qu’il en soit, je n’ai que très rarement trouvé des réponses de père à leur fils. Cela ne s’explique pas par un désintéressement de la part du patriarche (car on retrouve des milliers de père soldat écrivant à leurs enfants) mais bien car la plupart était eux-aussi au cœur du conflit.

– Le même schéma se répète sur l’ensemble des lettres. Louis débute toujours par évoquer sa santé, purement physique et celui-ci est toujours bonne. On se doute que cela n’est pas forcément le cas dû à son rôle dans l’artillerie. D’ailleurs, il évoquera à plusieurs reprises le fait qu’il ne peut pas explicitement parler de ses conditions de vie et invitera ses parents à se renseigner apurés de ses camarades en permission.

Lettre de Louis Pontaud à ses parents, daté du 3 aout 1915

‘’ Dans ma dernière lettre il y a trois jours, je ne vous garantissais pas que Simon (?) parte en permission bien qu’il fût à ce moment-là toujours maintenu pour les départs du 1er (?). Aujourd’hui, je serai plus affirmatif et je vous annoncerai qu’il est parti dimanche soir. Il est chez lui à cette heure et peut-être vous a-t-il déjà surpris à la maison. S’il ne l’a pas encore fait, vous voilà prévenus. Vous serez ainsi moins surpris en les voyant car il va vous voir ainsi que les parents des autres copains du pays. Je l’ai vu ainsi que Fernand le soir qu’ils sont partis. Il vous racontera un peu la vie que nous menons ici et cela je pense vous fera plaisir car vous connaîtrez de la sorte beaucoup de détails que l’on ne peut guère expliquer par lettre. ‘’

Ceci peut s’expliquer par la volonté de ne pas inquiéter la famille mais aussi de ne pas vouloir ramollir le moral des gens du pays. En effet, il ne faut pas oublier qu’un patriotisme ambiant était à l’époque présent et que les soldats avaient parfaitement conscience que leurs propos affectaient les événements pouvant se produire dans le pays. Le cas Louis Pontaud nous indique également qu’ils avaient connaissance qu’une censure avait eu lieu et que de potentiels conséquences pouvaient avoir lieu sur les soldats qui se plaindraient de leur condition dans les lettres envoyées. Il n’est donc pas nécessairement là le cas d’une volonté de ne pas inquiéter mais plutôt de s’assurer que la lettre arrivera, les véritables conditions de vie étant révélés (ou non) durant les permissions.

– Louis parlera ensuite des gens qu’il rencontre, la plupart étant originaire du même village. Il donnera des nouvelles des autres soldats, leurs permissions ou leur disparition. Il en demandera également, préservant alors le lien avec l’extérieur et sa vie loin du conflit. En somme, il livrera à sa famille les déroulés de la journée, les événements marquants ayant eu lieu.

– Ensuite, ne pas évoquer son état mental peut s’expliquer par plusieurs facteurs. L’importance de la psychologie n’était pas aussi présente qu’aujourd’hui et les études sur la santé mentale se sont énormément développées après la Première Guerre dû aux nombreux traumatismes qui marqueront les esprits des soldats. Auparavant, on ne portait pas une grande importance à l’aspect psychique de l’existence mais bien plus à l’aspect spirituel. La religion avait une grande place dans la vie intérieure des gens, là où les études psychiatriques prendront ensuite plus de place afin de soigner les maux intimes des gens. Il n’était donc pas commun d’ouvrir ses sentiments de manière aussi spontané qu’on le fait aujourd’hui et les confidences se faisaient la plupart du temps dans le cadre religieux afin de guérir de manière spirituelle.

Il sera donc très difficile de trouver des aveux directs de mal-être mental sur le papier pour ces différentes raisons.

Carte de Louis Pontaud à ses parents, le 26 juin 1916

‘’ Vous n’oubliez pas de transmettre mon souvenir et mes amitiés aux parents voisins et connaissances, sans oublier Marie et sa famille, Léonie Léonce et Elie Fosse. Vous devez continuer à voir souvent tous ces amis et de la carte vous êtes commodes pour pouvoir leur donner de mes nouvelles. Vous devez être en pleine moisson d’après l’état des récoltes que j’avais vu il y a une quinzaine de jours. Ici il y en a encore pour quelques jours. Il serait préférable pour tous que nous soyons en mesure de pouvoir vous donner la main pour ce travail ainsi que pour beaucoup d’autres.

Je vous adresse la reproduction d’un tableau célèbre du grand peintre Millet. Seulement il n’y avait pas mis dans un coin une troupe montant à la charge et à tous les points de vue ça valait bien mieux. Recevez en vous quittant mes bons souhaits et des quantités de tendres caresses ‘’

– En revanche, plus subtilement, il sera possible de déceler des traces de manque ou de regrets ‘’Seulement il n’y avait pas mis dans un coin une troupe montant à la charge et à tous les points de vue ça valait bien mieux ‘’. Ils ne sont pas explicitement évoqués mais on retrouve souvent ces subtiles traces laissées dans le vocabulaire choisi. On ne pourra pas ici étudier le cas Louis Pontaud au complet mais au fur et à mesure des années et des envois, il est indéniable qu’il laissera de plus en plus d’aveux de sa vision de la guerre et la partagera de manière très délicate à ses parents. Pour commencer, il signera de manière constante, toujours avec la même affection : ‘’ Recevez en vous quittant mes bons souhaits et des quantités de tendres caresses ‘’. En plus de démontrer de l’affection de Louis pour sa famille, cela démontre d’un manque certain ainsi que de sa volonté de maintenir ce lien qu’il ne peut plus entretenir physiquement. Les attentes morales et la discrétion des sentiments se fracturent donc de manière très implicite et au fur et à mesure du temps où Louis s’habitue à se confier au papier, maintenant le seul lien avec sa famille (en dehors des permissions qu’il annonce à l’avance).

– Il existe cependant des contre-exemples, des lettres envoyées par les soldats à leur mère et qui décrivent explicitement le désarroi et l’horreur du front.

‘’ Tu ne peux savoir, ma mère aimée, ce que l’homme peut faire contre l’homme. Voici cinq jours que mes souliers sont gras de cervelles humaines, que j’écrase des thorax, que je rencontre des entrailles. Les hommes mangent le peu qu’ils ont, accotés à des cadavres. Le régiment a été héroïque : nous n’avons plus d’officiers ‘’[2]

Il ne faut donc pas faire du cas Louis Pontaud une généralité car il existe des soldats décrivant tout ce qu’ils ressentent et ce qu’ils vivent. Il faudrait, comme souvent, étudier au cas par cas chaque soldat pour savoir ce qu’ils acceptaient ou non de confier à leurs mères. Ensuite, nous n’avons que les écrits de Louis Pontaud, il n’est pas exclu qu’une fois en présence de sa mère, il ne lui ait pas confié tout ce qu’il vivait et comment il ressentait en réalité le conflit.

            Ensuite, s’il y a bien une chose que les mères conservaient avec préciosité venant de leur enfant parti au front, ce furent les photographies. Rares, précieuses et couteuses, des unités avaient parfois la chance d’avoir un photographe leur permettant d’envoyer une représentation d’eux à leurs proches :

Collection Privée. Photo d’une unité envoyée aux parents par le fils, correspondance au dos, 1916

            On ne peut que s’imaginer à quel point une telle photographie devait être précieuse pour les mères les recevant, seule image de leur enfant qu’elles voyaient depuis plusieurs mois, voir quelques fois années suivant les permissions autorisées. Il est également très souvent fait mention de bagues fabriquées dans les tranchées et envoyées à la mère, en cadeau et souvenir.

Concernant les réponses des mères, le fond Louis Pontaud n’en contient pas. De manière général, il est très difficile de trouver des lettres écrites par celles-ci. Pour le fond Louis Pontaud, il y a bien les réponses de sa bien-aimée Marie mais pas de trace de réponses de sa mère. Cela ne veut pas dire qu’elle ne lui répondait pas car en effet, dans ce fond se trouve une lettre adressée à Madame Césarine Pontaud, la mère de Louis. Les courriers ont pu se perdre au cours du temps, se dégrader ou alors Marie, sa bien-aimée, se chargeait de donner en une fois toutes les nouvelles pour l’ensemble de la famille. Nous devrons donc nous baser sur les lettres d’autres mères afin d’établir une base documentaire servant à notre étude. Cette base restera cependant très maigre mais elle a apporté un constat inattendu. Là où je pensais trouver des cas de patriotisme omni présent et de retenu dans les émotions afin de ne pas perturber le devoir du soldat, je me suis retrouvée avec une grande majorité de lettres envoyées par les mères avouant leurs émotions de manière explicite. Le cas le plus touchant est sans doute l’aveu très authentique et d’une honnêteté saisissable d’une mère envoyant une lettre à son fils, Gaston, pour son 19ème anniversaire :

‘’ (…) en te mettant au monde, j’étais bien loin de me douter que ce minuscule bonhomme deviendrait ( ?) 18 ans plus tard une pièce de l’engrenage de la guerre. (…) Non mon cher petit, ce n’est pas ce que ton père et moi avions rêvé pour toi. Nous avons connu les désillusions de la vie, ses injustices… Ce sera peut-être un bien pour plus tard car généralement il n’y a rien que l’épreuve pour donner le véritable sens de la vie qu’il est impossible d’envisager lorsque l’on a ton âge en temps normal où tout n’est que chimères et illusions et lorsque l’on (…) à un certain âge alors quel effondrement (je ne peux te parler par expérience). Alors il est bien plus pénible de se rendre à la réalité. (…) vous, jeunes gens du 20ème siècle, vous avez déjà fait un pas immense dans la vie et on peut dire un saut périlleux, c’est bien là beaucoup, hélas. Ne te décourage pas mon cher enfant ‘’[3]

Ici, l’émotion est donc assumée, avouée dans son entièreté. Le rapport maternel est omniprésent et ce en dépit du conflit en cours. Si un brin de patriotisme pourrait être décelé dans les dernières lignes, ‘’ Ne te décourage pas ‘’, il est impossible de déterminer si cela était dans un élan nationaliste ou maternel. En effet, même si on voudrait y voir cet aspect, il pourrait (et il est même plus probable) que cela soit destiné à l’enfant et à l’enfant seul, afin qu’il se préserve et revienne. Pour cet exemple, il n’est nullement là question du conflit, de la guerre ou de ses conséquences mais purement et simplement de l’amour et l’inquiétude porté à son fils. Il est indiscutable qu’une guerre ne changera jamais l’inconditionnalité d’un amour pour son enfant et cette lettre en est un témoignage direct et explicite. Elle ne se désole d’ailleurs pas seulement de la condition pour son enfant mais pour toute une génération, envoyée au front à un âge supposé être innocent.

            N’aurions-nous pas là une première piste afin de comprendre le si peu de lettres que nous avons provenant des mères ? En effet, si les émotions étaient aussi marquées, aussi fortes, la censure a sans doute pu ne pas vouloir les diffuser afin de ne pas influencer sur le moral de ses troupes. Ensuite, dans le cas du fond Louis Pontaud, nous remarquons que la majorité des réponses sont faites par Marie, sa compagne. Il se peut donc que Marie endosse le rôle de répondre de façon globale pour tous car elle cite à plusieurs reprises ses parents afin de donner des nouvelles d’eux, à leur place. Ensuite, il ne faut pas négliger le taux très faible d’alphabétisation des femmes. Louis Pontaud ayant 25 ans environ au moment de la guerre, sa mère devait donc être née vers les années 1880, une période où les femmes étaient très peu à savoir lire et écrire, et ce, même dans la bourgeoisie.

 ‘’ Du XVIe à la fin du XIX e siècle, l’éducation féminine va beaucoup progresser en France mais en étant :

– Chrétienne (assurée par des établissements religieux spécialisés sur le créneau de l’éducation),

– Séparée de celle des garçons (non-mixité)

– Différente et moins développée que celle des garçons (sans latin) car cette alphabétisation ne doit déboucher que sur le mariage

– Réservée aux milieux de la noblesse, de la bourgeoisie commerçante, de certains milieux d’artisans et de paysans aisés ‘’[4]

Pour le cas Louis Pontaud, il n’est indiqué que la mention ‘’ Propriétaire ‘’ sur les enveloppes et il ait régulièrement fait référence des moissons au cours de ses lettres, indiquant que sa famille devait être paysanne mais tout de même de la classe élevée pour posséder le titre ‘’ Propriétaire ‘’. Ensuite, il ne faut pas oublier les conditions de conservation très rudimentaires des tranchées. Humidité, combat, conditions de vie extrême[5]… Autant de facteurs qui ont rendu casi impossible la conservation des courriers reçues par les soldats. Combinant tous ces facteurs, nous comprenons alors mieux pourquoi il est si difficile, voire impossible, de trouver des lettres écrites par les mères.

            Ensuite, en comparant les lettres envoyées à d’autres interlocuteurs, nous pouvons faire un constat qui nous permettra de mieux comprendre la dualité ressentie aussi bien par les mères que par les soldats eux-mêmes. Les propos tenus sont aussi révélateurs de celui à qui on les adresse car nous nous adaptons à notre interlocuteur. Quand on compare les échanges effectués avec des amis de galère, le ton n’est pas le même. Les choses sont plus légères, ils parlent de vie, de permissions, demande des nouvelles, mais de manière bien moins solennelle, comme dans la carte ci-dessous : ‘’ Tu deviens tellement feignant ‘’ ‘’ J’ai bien reçu ta photo de la classe (…) il ne manquerait que moi et les cigognes auraient été au complet ‘’. Lettre signée d’une manière très amicale : ‘’ Ton copain pour la vie qui te la serre ‘’.

 Lettre d’un ami de Lazare Contassot du 3e cuirassé, 26 juillet 1918

Quand il est de s’adresser à ses parents, Louis Pontaud racontera aussi sa journée mais de manière bien plus détaillé (pour le début du conflit), demandera des nouvelles et on ressentira cette envie enjouée de savoir comment se déroule les choses de leur côté. On ressent également la dureté du conflit et les choses qu’il ne peut pas raconter, comme vu précédemment. Impossible alors de dire si le sentiment de légèreté envoyée est volontaire afin de ne pas subir la censure ou si Louis était réellement heureux de partager un peu de quotidien avec sa famille. Il n’est pas nécessairement question ici de mise à distance mais le changement de ton est révélateur d’une certaine émotion et explicite à lui seul un manque qui n’est pas clairement dit dans les mots mais qui se ressent dans la manière de faire les choses, de les écrire et de les faire passer.

Concernant les mères, le ton ne change pas qu’elles s’adressent à leur fils ou à une amie. En effet, le meilleur moyen donc de connaître le réel point de vue d’une mère serait de trouver une lettre ou un témoignage fait à quelqu’un d’extérieur. Encore une fois, c’est une tâche difficile et le seul exemple que j’ai pu avoir sous la main pour cette enquête provient encore une fois du fond Louis Pontaud. Il y a, dans ce fond, une lettre envoyée à la mère de Louis, provenant d’une amie de la famille. Dans cette lettre, elle fait elle-même part de son désarroi concernant les enfants (de manière générale) du pays.

Collection privée, lettre envoyée à la mère de Louis Pontaud provenant d’une amie, 1914

‘’ Ma chère Césarine,

Malgré mon long silence je ne vous oublie pas et pense toujours à vous. J’ai vu Louis quelques fois qui me donnait de vos nouvelles, voilà pourquoi je n’écrivais pas. J’ai tant d’ennuis et de tracas que (?) aussi toute correspondance, étant toujours tourmentée. Je n’avais pas le cœur à écrire à personne ‘’

Quand on analyse le fond Louis Pontaud de manière générale, il y a une lettre, envoyée un peu avant celle-ci annonçant la mort précoce d’un jeune de leur village natale, venue au font. Par conséquent, il est probable que la femme écrivant cette lettre soit la mère de ce jeune, se confiant alors à la mère de Louis.

‘’ Tant de prières qui montent au ciel finiront par être exaucées et faire cesser le pire des fléaux, mais en attendant que de sang versé, que de disparus, toute cette belle jeunesse qui s’en va loin des siens, sans consolation, ni soin dans d’horribles souffrances ‘’.

Cette lettre est un témoignage rare de la réelle désolation des mères, celle qu’elle ne pouvait que faire comprendre sur les peu de lettres envoyées au front et conservées mais surtout, cette lettre est précieuse car elle est authentique. En effet, aucune censure car ce témoignage s’adresse à une amie du village. Nous pouvons donc nous y référer comme une expression sans filtre des sentiments, de la réelle émotion qui saisissait déjà les mères en 1914, au tout début du conflit : ‘’ On a constamment les larmes aux yeux ‘’.

S’il est rare d’avoir donc des témoignages directs des mères elles-mêmes, nous pouvons, avec les exemples que nous avons, conclure que les émotions passent bien au-dessus du patriotisme. Cela ne veut pas dire qu’il est absent, notre étude comparative peut être biaisée par le manque d’informations. Cela veut dire que les sentiments maternels iront toujours dans le sens de la protection de son enfant et que cela se ressent de manière viscérale dans les quelques indices qui ont réussi à nous parvenir. Il ne faut cependant pas oublier que les enfants étaient élevés dans un patriotisme certain et que même si des manifestations pour la paix ont eu lieu à l’annonce du conflit en 1914, celles-ci restent minoritaires. On peut donc s’imaginer que les mères ont pu être tiraillées entre le devoir patriotique de leur enfant et le sentiment maternel de le voir revenir, qui plus est quand, dans le village, circulaient les véritables informations qui n’apparaissaient pas dans les journaux. Quoi qu’il en soit, les mères avouent de manière explicite leurs sentiments, l’instinct et la volonté prenant le pas sur quelconque volonté. Les mots sont bien là, assumés, les mères craignent pour leurs enfants, s’inquiètent et souhaiteraient qu’ils aient eu un avenir plus serein. La démonstration de cet affect se fait de plusieurs manières. L’affection se manifeste de la même façon, que cela soit pour des familles aisés ou non, et tout porte à croire que l’amour maternel (et parental) est la même, peu importe la culture ou l’époque. Ce n’est pas une variante de la nature humaine et on retrouve les exacts mêmes témoignages écrits à l’époque romaine, égyptienne, médiévale ou dans les conflits contemporains. Le paradoxe entre la distance que s’oblige à mettre les parents afin de laisser leurs enfants faire leur devoir (de manière volontaire ou non) et le tiraillement ressenti afin de les savoir en sécurité se ressent étrangement dans les courriers envoyés et même si la volonté était très certainement de ne pas agir sur le moral de l’enfant soldat ‘’ Ne te décourage pas ‘’, il est indéniable que l’affection ressenti se perçoit à travers les mots. L’inconscient parlant toujours à la place de la volonté, le vocabulaire choisi ne fait alors aucun doute sur les véritables émotions ressenties et sur la chaleur que souhaitait apporter les mères à leurs enfants, dans un conflit dont elle connaissait très bien la nature.

Partie III) Les actes

            En plus de l’envoi de lettres, de nombreux colis ou paquets sont destinés à prouver leur inquiétude. Un colis reçu par un soldat se compose en général de vêtements[6], d’un mot, de nourritures ou d’une boisson non-périssable. On peut également retrouver des objets, comme des livres afin de donner un peu de divertissement au soldat, mais aussi des sujets religieux comme des petites statuettes ou des bijoux afin de protéger la personne à qui la mère destine le colis. Ces petites statuettes religieuses sont quelques fois dérivées afin de tenir dans une douille de fusil et de créer ainsi une chapelle portative que le soldat pourra garder sur lui.

Collection privée. Art des tranchées, Vierge dans une douille de fusil, système rotatif. Boîte de médicaments réemployée, 1914 – 1918

Ces paquets témoignent de préoccupations révélatrices, il s’agit de réponses directes à des besoins fondamentaux ; manger, boire, avoir chaud. Même si elle est loin de son enfant, la mère continue donc de se préoccuper de ses besoins vitaux et le plus souvent, c’est même le soldat lui-même qui demande à sa mère de lui envoyer ce qui lui manque[7]. Malgré la censure, les conditions difficiles parviennent donc aux parents et dans tous les cas, même si l’enfant ne formule pas de demande, des colis sont envoyés. Joindre un objet religieux, le plus souvent faisant référence à la Vierge (statuette, médaille, colliers…) reprend le point vu en première partie. La religion fait partie du quotidien et il est primordial que l’enfant sur le front ait de quoi se protéger dans le meilleur des cas, maintienne sa relation avec Dieu dans le pire. S’il venait à succomber, il serait impensable pour un parent qu’il parte sans emporter avec lui une référence religieuse. Les corps ne revenaient pas toujours et les civils étaient eux souvent inhumés avec une croix, une statuette, quelque chose faisant la relation directe avec Dieu. En laissant une trace religieuse à son enfant, la mère s’assure qu’il parte comme il se doit, avec un élément ésotérique. Choisir la Vierge n’est également pas anodin. La Vierge est le symbole ultime de protection et de bienveillance, elle est présente chez les soldats afin de les protéger des dangers physiques et psychiques. Mais la Vierge peut aussi avoir une autre connotation. Nous l’avons vu, le rôle patriotique des mères n’étaient pas négligé au début du XXème siècle. Elles savaient parfaitement qu’elles avaient une responsabilité à jouer dans l’éducation de leurs enfants de ce point de vue et la Vierge représente, dans le monde militaire, le combat des causes justes[8]. Ce n’est pas seulement une protection spirituelle qu’offre la mère à son enfant mais également un accompagnement dans le combat, par la personnification militaire de la Vierge. Outre les objets religieux et utilitaires comme les vêtements et la nourriture, il y a également dans les colis des objets rappelant les origines du soldat afin de lui apporter un morceau de chez-lui. Afin d’étudier un cas concret, nous allons analyser le fond Émilie Froissart[9] dont le thème des lettres numérisées parle essentiellement des colis envoyés.

Mardi 1er août 1916, Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Léon Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne)

’ Merci des renseignements que tu me donnes pour les victuailles à t’envoyer : je ferai une expédition demain (1er août)

Tu ne nous réponds pas au sujet du colis postal que je te propose de t’envoyer (16 juin) ‘’

L’importance pour la mère de savoir que son fils a bien reçu son colis est aussi crucial que la réponse dans laquelle elle souhaite savoir ce dont il a besoin. Par ce biais, la mère continue de s’occuper de son fils et d’entretenir son rôle de mère comme elle le faisait durant sa présence.

‘’ Il faudrait absolument que tu t’arranges pour manger quelque chose avant 11h ½. Ne peux-tu donc pas prendre quelque chose avec le « jus » ? vous avez toujours bien celui-ci en vous levant ? veux-tu des gâteaux secs ? As-tu encore des tablettes de chocolat ? je t’en envoie. (13 août) ‘’

On ressent là bien toute l’inquiétude et la volonté d’être présente d’une mère, sa préoccupation allant directement vers les besoins de son enfant et la volonté qu’il ne manque surtout de rien. Ensuite, comme évoqué au début de cette partie, la mère choisit souvent d’offrir un morceau de chez-soi à son enfant et cela passe par le choix des aliments :

‘’ Je t’envoie un petit morceau de langue de Brunehautpré, sûre que cela te semblera bon (10 avril) ‘’

Si la famille Froissart et Pontaud peuvent envoyer des colis non-alimentaires, ce n’est pas le cas de toutes les familles. En effet, parmi la masse documentaire disponible, on ne recense que 8% de colis contenant des objets. Dans ces 8%, une majorité représente l’envoi de médicaments après que le soldat ait avoué à sa famille être tombé malade. Cependant, la grande majorité des colis sont donc alimentaires, répondant aux besoins primaires du soldat.

‘’ Les poilus d’origine rurale semblant « accorder peu d’importance à l’hygiène et aux petits accidents de santé » et l’automédication parmi eux reste peu répandue. A l’inverse, dans cette famille bourgeoise, médicaments, livres et objets divers sont souvent mentionnés ‘’[10]

Le premier argument peut largement être remis en question. En effet, les ‘’ poilus d’origine rural ‘’ n’avaient simplement pas les mêmes moyens financiers que les familles bourgeoises et les mères ont donc fait le choix de privilégier le besoin le plus essentiel, à savoir ; manger à sa faim. Constatant la précarité de certaines familles, envoyer des colis contenant de la nourriture à un soldat est d’ailleurs même un sacrifice car il ne faut pas oublier qu’une mère paysanne ou ouvrière aura la plupart du temps d’autres enfants en bas-âge à nourrir également chez elle. Il ne faut donc absolument pas croire que le contenu d’un colis est révélateur de l’affection d’une mère pour son enfant mais tenir compte de la situation sociale dans lequel ce colis a été envoyé. D’ailleurs, il faut bien comprendre qu’aucun soldat n’est oublié et que la casi totalité d’entre eux reçoivent des colis. Pour ceux qui ne reçoivent rien car orphelin et n’ayant été pris en charge par personne au cours de leur vie, les camarades plus riches partagent en général avec eux[11]. Constat plus impressionnant encore, les mères de soldats issus de la bourgeoisie prennent sous leurs ailes les camarades démunis et rajoutent dans les colis pour leur propre enfant, un petit quelque chose pour eux :

‘’ J’envoie du saucisson et du chocolat à Dagens, en même temps (3 mars), Je vais te ravitailler ainsi que Dagens (8 avril), J’envoie un 27 centimètres de saucisson à Dagens (7 juin), Je t’ai envoyé hier du jambon et bœuf mode par la poste et la même chose à Dagens (13 août) ‘’ [12]

En plus de prendre en charge son propre enfant, les mères, quand elles le peuvent, prennent donc en charge les camarades plus démunis.

            Parmi les actes qui manifestent de l’investissement des mères durant la Première Guerre Mondiale, nous pourrions également parler de la prévoyance des permissions et des retours de leurs enfants. En effet, dans les lettres de soldats vers leur famille, il est souvent fait mention de l’arrivée prochaine d’une permission ou au contraire, de l’absence de celle-ci, soulignant le fait que la demande était faite par le parent de quand allait-il revenir, explicitement ou non. Le retour de l’enfant était donc un évènement attendu, même pour une durée déterminée et en générale, cela s’accompagnait par un repas afin de fêter l’événement et l’avertissement de la famille afin qu’il (ou elle) revoit les membres de celle-ci. Le retour de l’enfant est donc toujours une attente qui figure dans pratiquement chaque lettre et on ne peut qu’imaginer le soulagement des parents au moment d’enfin revoir leur enfant parti au front.

            L’acte finale démontrant de l’investissement des mères dans le sort de leurs enfants est la manifestation. Il est indéniable que la Première Guerre Mondiale a joué un rôle dans l’émancipation des femmes en Europe. Elles ont dû prendre les rôles économiques, sociaux et les responsabilités qu’on leur interdisait par le passé. Au fur et à mesure des années de la guerre, elles ont également pris confiance en elles sur la scène politique et plusieurs mouvements féminins ont donc vu le jour, partout en Europe. Parmi ces mouvements, des groupements pacifiques qui se forment durant les dernières années de la guerre. En effet, dès 1916, un sentiment de ras-le-bol général se ressent, aussi bien sur le front qu’au pays. Cela mènera sur le front aux rébellions du Chemin des Dames mais au pays, l’inquiétude et les pertes qui ne cessent d’augmenter amènent à des manifestations demandant l’arrêt de la guerre par une négociation de la paix. Nous pourrions citer plusieurs d’entre eux et voir en quoi ils sont liés à l’investissement émotionnel des mères dans le conflit :

The Call, journal dans lequel écrivait le Women’s Peace Crusade
  1. Mouvement des Femmes pour la Paix : En Grande-Bretagne, le Women’s Peace Crusade, fondé en 1917, est un exemple notable. Ce mouvement était dirigé principalement par des femmes et appelait à une paix négociée. Les membres étaient pour la plupart des mères et des veuves préoccupées par le sort de leurs proches. En plus des manifestions, elles écrivaient dans le journal The Call afin de témoigner de leurs pertes et argumenter sur la volonté de la fin du conflit[13].
  2. Le Mouvement International des Femmes pour la Paix et la Liberté : Fondé en 1915 lors du Congrès international des femmes à La Haye, ce mouvement rassemblait des femmes de plusieurs pays, y compris des mères de soldats, appelant à la fin de la guerre par des moyens diplomatiques. Le mouvement survivra après la guerre et se battra contre la discrimination à travers le monde[14].
  3. Manifestation en Russie : En Russie, en février 1917, les manifestations contre la guerre et les conditions de vie difficiles ont été un élément déclencheur de la Révolution russe. Des femmes, y compris des mères de soldats, ont joué un rôle crucial dans ces manifestations.
  4. Manifestations en Allemagne : En Allemagne, surtout vers la fin de la guerre, des grèves et des manifestations ont eu lieu, souvent menées par des ouvriers et des familles de soldats qui souffraient des pénuries et de la prolongation du conflit.

Les actes sont donc le parfait reflet de l’inquiétude ressenti dans les lettres. Les colis envoyés répondent au besoin direct, exprimé ou non par l’enfant lui-même. L’envoi de nourriture est systématique, peu importe la classe sociale. Le reste dépendra des moyens de la famille et des besoins manifestés explicitement par l’enfant au front. Dans tous les cas, l’acte des colis est l’expression de l’inquiétude, de l’investissement émotionnel et de tous les moyens que peuvent mettre en place les mères afin de s’assurer de continuer d’assurer la sécurité et la santé de leur enfant. Cette inquiétude a grandi durant les années de guerre et au fur et mesure, est devenue une préoccupation menant aux manifestations de 1917 demandant l’arrêt du conflit à cause des pertes engendrés ou à venir. Les témoignages de mères perdant leurs enfants étant de plus en plus nombreux, les angoisses se sont accentuées et avec elles, des actes reflétant de la manière la plus explicite possible ces craintes. Prendre des nouvelles n’était plus suffisant, il leur fallait savoir leur enfant près d’elles avant de ne plus pouvoir les revoir.

Conclusion globale :

            Nous avons tendance à considérer le passé comme des évènements lointains, une histoire vécue par des protagonistes éloignés comme si cela n’était que le récit témoigné d’une époque révolue et pourtant. La Première Guerre Mondiale ne s’est déroulée qu’à peine une décennie en arrière, ce qui est relativement récent compte-rendu de la densité de notre Histoire humaine. Déjà, ce constat de détachement peut pourtant être perçu et les indices de ce passé sont à présents classifiés comme des objets, des documents et des pistes de réflexion d’un conflit que la majorité considéra ancien. Si la technologie ou les moyens utilisés par les gens du début du XXème siècle peuvent aujourd’hui nous sembler étranger, il y a pourtant une chose qui nous lie profondément aux personnes ayant vécu cette époque ; leurs émotions. Elles ne différent en rien de ce que nous, contemporains du début du XXIème siècle, ressentons et l’exercice de se mettre à la place des mères ou des soldats pourrait sembler être une pratique infaisable en dépit du contexte qui nous parait de nos jours impossible à revivre. Pourtant, il y a bien aujourd’hui des mères expérimentant les mêmes événements que les parents (et leurs enfants) étudiés dans ce dossier. En effet, si nous comparons les écrits laissés par les mères de la guerre qui devait être ‘’ la der des ders ‘’ et ceux des mères des conflits contemporains, la volonté et l’émotion demeure la même. Les mères du monde continuent toujours aujourd’hui d’écrire ‘’ Ce sera peut-être un bien pour plus tard ‘’ et les émotions seront un jour classifiés dans un conflit supposé être le dernier.

N’oublions pas notre passé, apprenons du présent et construisons demain.


[1] Rivière Antoine, « Mères sans mari. Filles-mères et abandons d’enfants (Paris, 1870-1920) », Genre & Histoire [En ligne], 16 | Automne 2015, mis en ligne le 16 février 2016

[2] Lettre d’Eugène-Emmanuel Lemercier à sa mère, 22 février 1915. https://monde-diplomatique.fr/2001/11/A/8217

[3] Mères, soeurs, épouses, marraines de soldats, Soutenir le moral des combattants, Archives Rilleux le Pape : https://archives.rillieuxlapape.fr/offre-culturelle/expositions-virtuelles/les-femmes-a-ditzingen-et-a-rillieux-la-pape-lors-de-la-premiere-guerre-mondiale/meres-soeurs-epouses-marraines-de-soldats

[4] L’alphabétisation des femmes. alp_femme_france.docx (live.com)

[5] Constat établi après conversation avec la Documentaliste du Musée de la Grande Guerre de Meaux

[6] Lettre de Elsässer Kurier 6/11/1914, disponible sur feldgrauenalsacemoselle.org

[7] Ibid

[8] Icônes religieuses dans l’art et la guerre | Musée national et mémorial de la Première Guerre mondiale (theworldwar.org)

[9] Daniele Poublan, Des colis au soldat (1916), 2015. Des colis au soldat (1916) | Publier une correspondance (hypotheses.org)

[10] Gérard Baconnier, André Minet, Louis Soler, La Plume au fusil. Les poilus du Midi à travers leur correspondance, 1985, Privat, Toulouse, p. 29

[11] Ibid.

[12] Daniele Poublan, Des colis au soldat (1916), 2015. Des colis au soldat (1916) | Publier une correspondance (hypotheses.org)

[13] Socialist Opposition to WW1 – The Call 1916 | Marx Memorial Library (marx-memorial-library.org.uk)

[14] https://sourcespaix.hypotheses.org/3200