Alors que la date anniversaire du début de la terrible bataille de Verdun approche, je ne peux pas m’empêcher, à mesure que les médias se saisissent du sujet, d’exprimer mon avis sur la symbolique des pertes terrifiantes causées par les 300 jours de combat du 21 février au 19 décembre 1916. Une fois encore, l’importance de Verdun mérite d’être considérée à sa juste valeur plus qu’à la mesure de la mythologie créée par le « roman national ».

La bataille de Verdun a fait au total un peu plus de 300 000 morts (160 000 Français et 140 000 Allemands) dont plus du tiers sont des portés disparus (130 000 sont inhumés dans l’ossuaire de Douaumont) sur un front de 20 km. On estime encore aujourd’hui qu’il reste environ 80 000 corps sur le champ de bataille. Le déluge d’artillerie quasi permanent pendant la bataille est la cause principale de ce chiffre exhorbitant de disparus. Les corps ne sont ensevelis que par le « labour industriel » des obus. Ils sont souvent disloqués ou décomposés, ce qui empêche toute idenfication. Cette litanie donne bien sûr un aperçu de l’enfer vécu par les combattants mais il me semble incohérent de lui donner une portée symbolique aussi importante que celle relayée à la fois par les politiques et les médias depuis un siècle.

Cadavres 14

Cadavres après la bataille de la Marne en 1914

Un mythe pour oublier Morhange ?

Les pertes dantesques de Verdun ne doivent pas servir, comme c’est à mes yeux le cas aujourd’hui, à masquer la réalité de ce qui fut le pire moment de la guerre pour les armées françaises et allemandes. A trop élever Verdun au rang de bataille mythique on en a oublié – en tout cas minoré – dans l’organisation du Centenaire, les pertes de l’armée française au cours des quatre premiers de la guerre. A la faveur de l’été 2014, les commémorations officielles, reprises en coeur par les médias, n’ont pas donné le même qu’écho aux pertes de 1914 que celui qu’elles donnent ces derniers jours à l’hécatombe de Verdun. Pourtant, si Verdun a coûté la vie à un peu plus de 300 000 hommes en 10 mois, la campagne d’août à novembre 1914 (4 mois) en a coûté autant à la seule armée française avec un triste record le samedi 22 août 1914 où 25 000 soldats français furent tués. La seule distinction importante vient de l’échelle géographique des combats qui en 1914 englobe tout le front. La densité du nombre de morts à Verdun sur un périmètre restreint est la plus élevée de la Grande Guerre et cela lui confère bien sûr un caractère singulier. Aussi dans la conscience nationale, ces morts tombés sur une position défensive sont devenus des symboles d’héroïsme sacrificiel comme leur chef : Pétain. Mais ceux de 14, lancés dans les offensives à outrance voulues par Joffre sans préparation d’artillerie suffisante, drapeaux en tête, n’ont pas encore le droit à la même re-connaissance, peut-être pour préserver inutilement la mémoire du vainqueur de la Marne. C’est approche qui obéit trop aux symboles dessert, à mon sens, la compréhension précise et globale de la Grande Guerre.

SYLVAIN FERREIRA