Deux écrivains, deux univers d‘une même guerre

Ecrit par Marie-Priscilla Leterme

Ce 11 novembre 2020 marque l’entrée au Panthéon de Maurice Genevoix.

Cette actualité est l’occasion de se plonger ou de redécouvrir deux destins dont la plume est inspirée par l’expérience du premier conflit mondial.

Deux parcours qui ont marqué la littérature française et plus particulièrement la littérature de guerre.

L’incontournable rendez-vous national

Maurice Genevoix est à la fois écrivain témoin et passeur de mémoire.

Les écrits de Maurice Genevoix, plus de 100 ans après leur parution, sont émouvants, profondément humains et dépeignent un tableau de la guerre si accessible au lecteur, qu’il est happé dans son parcours.

Il nous donne à voir les hommes, ceux pour qui il n’a eu de cesse de témoigner tout au long de sa vie. Il nous donne à ressentir aussi un peu de cette guerre, celle qu’aucun n’aurait dû souffrir tant.

Lorsque Sous Verdun commence le 25 août 1914, c’est le départ de la caserne de Châlons-sur-Marne. Le jeune sous-lieutenant va alors commencer à écrire sa réalité.

Une partie du 106e Régiment d’Infanterie est déjà présente dans le secteur d’Arrancy-sur-Crusnes et vient, tant bien que mal, contenir un assaut allemand sur le Bois Deffroy, aux côtés du 25e Bataillon de chasseurs à pied dont le jeune Michel A., originaire de Boitron et tout jeune conscrit, a perdu la vie la veille. Il n’avait que 21 ans…

Les journées les plus meurtrières de la guerre s’achèvent et Maurice Genevoix, 23 ans, célibataire, normalien major de sa promotion, va, de pages en pages, descendre avec ses hommes dans la réalité cruelle des premiers combats.

Les allers-retours de la guerre de mouvement sont incessants. Dans la tourmente, il inscrit dans sa mémoire les détails de ce qui l’environne : chants d’oiseaux, coucher de soleil, pâleur du petit jour.

Pour comprendre le contexte de ces écrits, il est bon de revenir à l’Ecole Normale Supérieure…

Paul Dupuy, secrétaire général de la rue d’Ulm, à Paris, s’attache dès la mobilisation à mettre en place une correspondance croisée avec ses élèves. Maurice Genevoix est de ceux-là, mais plus encore : il voit en ce jeune homme un potentiel qui ne demande qu’à s’exprimer, se révéler et se lire du plus grand nombre.

De cet échange épistolaire riche et des petits carnets de notes, vont naître un puissant témoignage.

Sous Verdun est écrit en une trentaine de jour. Rien n’épargne le lecteur : les marmitages, le danger qui se cache dans le layon d’une crête, les cadavres le long de la route, le réconfort d’un « vrai repas ». Ce premier écrit de guerre est publié en 1916.

Maurice Genevoix, n’élève pas la voix contre la guerre et pourtant il fait s’élever les voix de « Ceux de 14 », les siens, perdus et survivants.

Porchon, Brunet, l’adjudant Roux, Viollet, Durozier… autant de noms semés çà et là au long de son récit formidable. Des noms pour témoigner, des noms pour ne les pas oublier. Et tous ces mots pour « ne pas les faire mourir à nouveau »…

Liens utiles :

https://www.centenaire.org/fr/fonds-privees/archives/les-archives-de-la-famille-genevoix

https://www.servicehistorique.sga.defense.gouv.fr/dossiers-individuels/maurice-genevoix

L’avis de la petite lectrice !

Cette année est effectivement l’occasion de lire Maurice Genevoix, avec son entrée au Panthéon. Et cet auteur est un véritable coup de cœur ! D’autres auteurs de guerre sont étudiés par les collégiens, les lycéens. Je trouve presque dommage que Maurice Genevoix n’est pas une place plus grande dans les programmes scolaires.

Il raconte sans détour, n’oublie pas les détails des êtres, des paysages, des ambiances au lever du jour comme dans le noir absolu de la nuit.

Ses écrits nous emmène presqu’entièrement à ses côtés : les allers-retours des débuts, la vision des chevaux morts sur le bord de la route, la joie d’un repas plus frugale ou de la chaleur d’un petit poêle dans l’abri d’officier.

On ne prend pas part, non, à ce qui se déroule. On en est spectateur, impuissant. Les personnages sont attachants. Certainement par c’est Maurice Genevoix lui-même qui s’attache à écrire la plus possible leur humanité.

Maurice Genevoix m’a touchée en plein cœur par ses mots, peut-être parce que son écrit commence le lendemain de la mort d’un des miens, tombé au Bois Deffroy et que l’Histoire d’un grand aurait pu croiser celle de plus petit. Maurice Genevoix écrit avec humilité et c’est peut-être là un de ses secrets pour nous aujourd’hui.

C’est un auteur que je trouve extraordinaire au-delà du normalien de talent. Il souhaitait que ses frères d’armes ne tombent jamais dans l’oubli. Il a réussi.

Le Grand troupeau : l’univers pastoral

A l’occasion des 50 ans de la mort de Jean Giono, un autre auteur est à découvrir ou à redécouvrir.

Jean Giono nous invite à suivre ces destins de ceux qui ont fait le « grand troupeau », ces hommes partis en guerre bien malgré eux, ces femmes et ces vieux qui vont recevoir qui la lettre qui l’avis de décès et assurer la continuité de la vie quotidienne en attendant le retour.

L’écrivain puise dans son propre univers pour nous immerger dans cette lente, lugubre et inexorable transhumance qu’est la marche des hommes vers la guerre.

Né en 1895 à Manosque, il est appelé sous les drapeaux en début septembre 1915, dans le 140e régiment d’infanterie.

Il est, lui aussi, jeune. Il est des grandes batailles : l’Artois, la Champagne, Verdun, la Somme. Il assiste, impuissant, aux massacres de ses camarades.

Blessé, le traumatisme psychologique est encore plus fort que la souffrance physique. Elle se transfigure dans ses mots et ses personnages : des familles, simples, de l’arrière-pays provençal.

Cet univers pastoral est « l’empreinte » de Jean Giono, fut-ce pour écrire la guerre ou d’autres histoires.

Déjà avant le début du conflit, lors de son passage dans la Drôme il n’a ni le goût de la chose militaire ni le sens de l’armée. Il se révèlera profondément pacifiste dans son œuvre comme dans son engagement politique des années 1930.

Suivre les pages de Jean Giono, c’est entrer dans le grand troupeau et entendre ce cri vibrant contre la guerre

L’avis de la petite lectrice !

L’univers de Jean Giono m’a été décrit par une lectrice aguerrie et sensible à son univers, ses mots. La curiosité m’a donc amenée à lire Le grand troupeau.

Et là, ce fut une découverte totale, habituée à des écrits plus classiques, académiques peut-être. La lecture de J. Giono n’est pas si accessible au premier abord, mais si on se laisse porter de page en page, l’immersion est alors plus intense dans ce qu’il donne à comprendre, à voir, à ressentir auprès de ses personnages. C’est la Provence qui vient à nous, cette Provence d’antan.

Mon conseil : ne pas se laisser impressionner par le style, car il accroche et l’on veut savoir la suite, la fin !

C’est un livre d’ambiance, alors autorisez-vous à être au calme, presque dans une ambiance méditative et les mots feront le reste pour plonger dans ce que j’ai envie d’appeler un « tableau ».