Au mois d’août 1914, il est entendu que la guerre sera courte, terminée en quelques semaines ou quelque mois. Pourtant, au cours de l’hiver 1914, sur le front Ouest, les armées s’immobilisent et la guerre s’enlise pour longtemps dans la boue des tranchées.
Une instruction générale du Ministère de la Guerre datée du 30 juillet 1909 indique que « l’issue d’une guerre dépendra avant tout du choc des masses formées par les armées de campagne mobilisées dès le début de la guerre ».

Une volonté offensive

p12-20 manuel_grade_infanterie_1913_001-web

Les plans de guerre des français et allemand (Plan 17 pour la France et plan Schlieffen pour l’Allemagne) ont la caractéristique commune d’affirmer la volonté d’offensive avec une entrée en action immédiate de toutes forces lors d’opérations en rase campagne. Du côté français, cette doctrine de l’offensive « à outrance », de la « charge furieuse baïonnette au canon » est devenue une sorte de dogme défendu avec ardeur et conviction par une élite de jeunes officiers jusqu’à s’imposer dans les règlements et les manuels d’instruction.

Certes, les aspects défensifs et l’intérêt des travaux de campagne à l’usage de l’infanterie ne sont pas ignorés. Il est vrai que les derniers grands conflits – la guerre de Sécession, la guerre franco-prussienne puis, au début du siècle, la guerre contre les Boers en Afrique du Sud et surtout le conflit russo-japonais en 1905 – avaient démontré la nécessité, l’efficacité et l’importance de la fortification du champ de bataille.

Il existait bien quelques directives concernant la fortification légère de campagne, mais elles prenaient soin de préciser qu’il ne s’agissait que d’une étape et qu’elle ne devait pas entraver le mouvement. Le manuel d’instruction militaire de l’infanterie daté de 1912 précise que « la fortification n’est qu’un moyen et pas un but. Il faut en user en se conformant avant tout aux nécessités techniques et ne jamais hésiter soit à renoncer à la protection, soit à abandonner des installations déjà créées pour en recommencer de nouvelles ailleurs ».

Espoir et désillusion
p12-20 don_hellot_vue_stereo_072014_009-web

Déblaiement d’un boyau à Massiges

Puis arrive la guerre. La volonté offensive des deux adversaires se concrétise dès le début d’août 1914 par une série de batailles violentes aux deux extrémités du front en Belgique et en Alsace, accréditant la thèse d’une guerre courte. Cependant, pour les troupes françaises, ces combats se transforment en une retraite imprévue et éprouvante avant que les opérations en rase campagne connaissent leurs dernières convulsions avec les opérations sur la Marne et la course à la mer.

Les troupes françaises se lancent à la poursuite de l’ennemi mais se trouvent arrêtées dans leur marche en avant par de solides retranchements allemands organisés le plus souvent sur des positions avantageuses. La puissance de feu de l’artillerie lourde, trop éloignée pour être neutralisée, et des mitrailleuses conduit les combattants, qui connaissent maintenant leur vulnérabilité en terrain découvert, à s’enterrer.

Les combattants sont las et confrontés à d’alarmantes lacunes

La guerre des tranchées

p12-20 049_0018-webDès lors, à partir d’octobre 1914, de Verdun à l’Aisne, puis progressivement de l’Oise à la mer du Nord, tout au long de cette ligne de feu immense que l’on appelle désormais « le front », les soldats, exténués par les immenses efforts fournis lors des semaines précédentes, creusent et organisent de précaires fossés comme positions protectrices et défensives.

Peu à peu les trous individuels s’approfondissent et se rejoignent en boyaux étroits, des abris sont creusés pour protéger les soldats. On creuse de part et d’autre des tranchées de plus en plus profondes, protégées par des réseaux de fils de fer barbelés et renforcées par des fortins et des secondes lignes.

Une nouvelle guerre commence et s’impose à l’Ouest : la guerre des tranchées. Elle durera trois ans sans que les offensives des uns ou des autres parviennent à faire changer sensiblement la ligne de front. C’est la faillite des manœuvres stratégiques et des plans longuement réfléchis et étudiés pendant les années du temps de paix, ce qui oblige les états-majors à repenser les opérations et à reconsidérer la guerre. Du côté français, les tranchées resteront longtemps provisoires, ce qui s’explique par l’état d’esprit initial et par le désir de libérer le sol national. Pour les Allemands, mieux entraînés aux fortifications de campagne, il s’agit de garder le terrain conquis et ils s’installent sur le long terme.

Mais les combattants sont las et confrontés à d’alarmantes lacunes : les munitions sont épuisées et l’armement individuel se révèle mal adapté, les matériaux manquent et les outils de terrassements sont distribués avec lenteur. Les hommes vivent maintenant enterrés et s’apprêtent à affronter l’hiver sans que rien n’ait été prévu pour s’abriter, s’éclairer et se protéger du froid et de l’humidité.

La tranchée devient le lieu de vie de millions d’hommes

p12-20 Don Radisson - Boite n°3 - Plaque N° 189 - Lorraine - 1914 - un boyau-web

Lorraine, 1914

D’abord simple protection contre le feu ennemi, la tranchée devient le lieu de vie de millions d’hommes. De par l’étendue des misères qu’elle impose aux combattants dans un quotidien bloqué, brutal, dangereux et précaire, la tranchée va très vite sacraliser l’histoire de la Grande Guerre en Europe occidentale.

Johanne Berlemont