Écrit par Michel DELMOTTE

Dès le début du second conflit mondial, les alliés vont organiser des actions afin de reconquérir le territoire national. Certaines de ces opérations sont assez fréquemment méconnues. Les opérations dans le Médoc en particulier. Parmi celles-ci l’opération Frankton et la bataille de la côte 40.

L’opération Frankton est une opération militaire des commandos britanniques du Special Boat Service des Royal Marines. Une petite unité d’un commando de douze hommes est chargée d’un raid sur Bordeaux. L’objectif est l’attaque de navires ennemis forçeurs de blocus qui assurent des liaisons avec le Japon.

Une opération audacieuse.

En mai 1942, le désir de Lord SELBORNE[1] ministre de la Guerre Economique de Winston CHURCHILL est de prendre des mesures afin d’attaquer les navires des puissances de l’Axe basés dans le port de Bordeaux et qui assurent un transport d’armes et de munitions vers le Japon et reviennent chargés de caoutchouc, en ayant forcé le blocus naval.

Audacieuse dans sa conception, cette intervention nécessite une préparation minutieuse et un grand courage dans son exécution.

Cette opération est l’un des premiers raids réalisés en territoire occupé. Lord MOUNTBATTEN vice-amiral de la flotte et chef des « opérations combinées» considéra que ce raid était «le plus courageux et imaginatif des raids jamais réalisés par les hommes des «opérations combinées».

Roundell Cecil PALMER Lord SELBORN

La mission consiste pour un officier et onze hommes des Royal Marines de remonter la Gironde, dans de petits canots uniquement la nuit tombée, à destination du port de Bordeaux.

Il est prévu de placer de mines « limpets » sous la ligne de flottaison des navires stationnés dans le port. Les canots et leurs hommes seront acheminés par un sous-marin à 9 miles (16Kms) de l’embouchure de la Gironde, le sous-marin sera en activité normale patrouillant le long de la côte.

[1] Roundell Cecil Palmer(15 avril 1887 – 3 septembre 1971), est un homme politique britannique ami de Winston CHURCHILL. Son titre de Ministre de la Guerre Economique cache la réalité de sa fonction qui était d’être chef du SOE (Special Operation Executive) service secret chargé de soutenir les opérations de résistance dans les territoires occupés. Celui-ci a occupé un poste d’officier au 3e Bataillon (de réserve) du Royal Hampshire Regiment en 1914-1918.

L’opération est lancée !

Le 7 décembre 1942, en soirée, le sous-marin HMS Tuna met cinq kayaks à l’eau, en effet lors de la mise à l’eau de la sixième embarcation dénommée « cachalot » l’enveloppe est déchirée et celui-ci est inutilisable, son équipage : William ELLERY et Eric FISHER rentreront en Angleterre à bord du sous-marin.

Le sous-marin HMS Tuna

Les cinq embarcations portent les noms de poissons : Catfish, Coalfish, Crayfish, Cuttlefish et Conger. Nos dix hommes d’équipage se trouvent dans l’océan au large de Montalivet en direction de  Soulac-sur-Mer. Ils doivent ensuite remonter, de nuit, l’estuaire de la Gironde, se cachant la journée et devront miner les navires repérés. Les canots seront par la suite, abandonnés à Bordeaux.

Le « Conger » disparaît dans les remous de l’entrée de l’estuaire. Le Cuttlefish est perdu de vue. Parvenus à la pointe de Grave, le sergent Wallace et le marine Ewart, à bord du Coalfish, sont capturés à l’aube. Cette passe est en effet, très surveillée par les installations de défense du « mur de l’Atlantique et de la forteresse des Arros ».

Dans la nuit du 8 au 9 décembre, le Catfish et le Crayfish sont déportés vers le Verdon. Ils vont se glisser entre quatre navires ennemis à l’ancre.

Les kayaks des Royal Marines

Ne pouvant naviguer que de nuit et avec une marée montante, nos hommes doivent se cacher dans les broussailles de la côte. Ils passent donc une journée d’attente en étant dissimulés. Le 11 décembre les deux canots entrent dans le port de Bordeaux, la dernière phase de la mission est engagée, le Catfish fixe des mines sur trois navires. Quant au Crayfish il reste sur l’autre rive, à droite sur Bassens, et pose des mines sur deux navires amarrés. Mission accomplie ! Nos quatre hommes quittent sans délai les lieux.

Le 12 décembre 1942, sept heures du matin, Bordeaux est réveillé par de fortes explosions.

Nos hommes descendent la Gironde jusqu’à Saint-Génès-de-Blaye, ils y coulent leurs embarcations et se séparent en deux groupes. Puis commence un voyage pédestre de 160 kilomètres dans les terres afin de rejoindre Ruffec en Charente.

Laver et Mills repérés et dénoncés seront arrêtés et malgré le port de l’uniforme ils sont considérés comme terroristes et seront fusillés à Paris en mars 1943.

Le second groupe : Herbert HASLER et William SPARKS aidés par la résistance française et les réseaux catalans et républicains espagnols rejoindrons Gibraltar.

Le commando.

Catfish (poisson-chat) : Malor Herbert Hasler (Chef du commando), Marine William E.Sparks.

Leur mission accomplie, ils descendent la Gironde jusqu’à Saint Genès-de-Blaye, coulent leur embarcation et s’enfoncent dans les terres, Ils entreprennent alors un voyage en zone occupée à pied, jusqu’à Ruffec (Charente) puis aidés par la Résistance française, par les réseaux Catalans et Républicains espagnols, ils rejoignent Gibraltar le 1er avril 1943.

Cuttlefish (Seiche) : Lieutenant John MacKinnon (Commandant en second), Marine Jame Conway

Le lieutenant John Mackinnon et le marine James Conway, ayant poursuivi seuls leur route sur la Gironde, atteignent le bec d’Ambès où après avoir heurté un obstacle leur embarcation coule.  Ils se replient jusqu’à Cessac. Un couple de Français, M. et Mme Jaubert, les héberge trois jours à la métairie de Seguin.  Ils cherchent à gagner l’Espagne, mais seront capturés par la gendarmerie française le 28 décembre 1942 à La Réole. Transférés à Paris, ils seront fusillés le 23 mars 1943.

F Lieutenant John MACKINNON
Marine Jame CONWAY

Crayfish (Écrevisse) : Corporal Albert. Fréderic. Laver, Marine William.N. Mills.

Le caporal Albert Frederic LAVER et le marine William N. MILLS tentent de s’échapper de la région dénoncée, ils seront pris par la gendarmerie française, remis à l’occupant, puis après un transfert à Bordeaux, transportés à Paris où malgré la torture, ils ne parleront pas de l’opération, comme MACLINNON et CONWAY. Ils seront fusillés le 23 mars 1943.

Caporal Albert. Frederic LAVER
Marine William N. MILLS

Chachalot (Cachalot) : Marine William Ellery, Marine Eric Fisher.

Marine William ELLERY
Marine Eric FISHER

Ils sont rentrés en Angleterre à bord du sous-marin HMS Tuna après que leur kayak a été déchiré lors de la mise à l’eau.

Coalfish (Morue noire) : Sergent Samuel Wallace, Marine Robert Ewart.

Sergent Samuel WALLACE
Marine Robert EWART

Le sergent Wallace et le marine Ewart sont capturés à la Pointe de Grave le 8 décembre 1942, et fusillés sur ordre de l’amiral Julius Bachmann dans la nuit du 11 au 12 décembre 1942, après de longs interrogatoires, sans avoir parlé. Leur exécution a eu lieu à Blanquefort (Gironde), à proximité du château de Dehez qui est désormais un lieu de commémoration.

Conger (Congre) : Corporal George Sheard, Marine David Moffatt.

Caporal George SHEARD
Marine David MOFFAT

Le kayak chavire en traversant la barre au large de Soulac

  • Caporal George Sheard, disparu dans la nuit du 7 au 8 décembre 1972.Son corps n’a jamais été retrouvé.
  • Marine David Moffatt, disparaît au même endroit.  Le corps de David Moffatt est découvert le 17 décembre 1942, sur la plage de Le Bois-Plage-en-Ré (île de Ré) ainsi que le kayak.

Effets de l’opération.

Après l’explosion, un bilan permet de constater que quatre cargos sont sérieusement touchés : Le Dresden, Le Tannenfels, le Portland et l‘Alabama. Un dragueur de mine et un pétrolier sont endommagés. Des incendies se sont déclarés. Les pompiers du port sous l’autorité de Raymond BRARD[2] interviennent rapidement pour circonscrire les feux. L’ardeur déployée à la tâche a contribué à noyer les cales afin de faire chavirer les navires.

Ce qui devait arriver, arriva ! Le Tannenfeld prend du gîte, donne de la bande et sombre.Le cargo Dresden dont le blindage, ainsi que l’arbre de l’hélice ont été touchés, coule. L’Alabama est percé à cinq endroits par les mines, le Portland sérieusement incendié.

Une expédition courageuse qui mérite de rester dans les mémoires.

Tous ces héros étaient volontaires pour cette mission périlleuse réussie. Sur ces douze hommes deux ne pourront participer totalement à la mission William ELLERY et Ertic Fisher dont le canot sera déchiré à la mise à l’eau, et seuls seront indemnes « Blondie » HASLER et William SPARKS.

Monument de Vendays-Montalivet

Sur cette côte de Gironde et sur l’autre côte charentaise des monuments rappellent à tout jamais l’héroïsme de ces soldats intrépide défenseurs d’une liberté perdue, retrouvée bien plus tard par le sacrifice de nombreux autres militaires.


[2]Raymond BRARD «alias»:  colonel Raymond, du Réseau Triangle-Phidias

Si vous parcourez cette région, pendant vos vacances vous pourrez découvrir ces monuments et le « chemin de mémoire » réalisé afin de maintenir le souvenir de ces « Braves Marines » qui tout autant que les combattants du premier conflit mondial ont sacrifié leurs vies, au nom de la Liberté qui reviendra bien plus tard.