Lors de la bataille de l’Ourcq, un événement rare va se produire pour un grand nombre de soldats de la 6e Armée Maunoury recrutés en Seine-et-Marne : ils vont se battre le 5 septembre entre Penchard et Saint-Soupplets dans les champs qu’ils cultivent et dans les villages où ils sont nés. Alphonse Tellier est l’un d’eux et il nous raconte sa bataille.

« Je m’appelle Alphonse Tellier. Je suis né le 10 avril 1887 à Cuisy, un petit village de la Brie au nord de Meaux, adossé à la forêt de Montgé-en-Goële. Je travaille la terre, comme mon père avant moi. J’habite une ferme à Iverny. Au cours de ce bel été 1914, je moissonne mes champs près de Villeroy. Début août, je quitte ma ferme pour rejoindre à Coulom­miers le 276e régiment d’infanterie de réserve. J’ai 27 ans, je fais partie de la 19e compagnie du 5e bataillon, matricule 260. »

« Si ça se trouve, je pourrais dormir chez moi ce soir »
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Alphonse Tellier de retour dans ses champs près de Villeroy, en 1964.

Le 5 septembre, je n’arrive pas à le croire, nous sommes à Villeroy ! Je vois, d’où je suis, le clocher de mon village ! Si ça se trouve, je pourrais dormir chez moi ce soir…

Il est midi et demi, soudain des obus s’abattent dans nos lignes ! Commence un duel d’artillerie entre les batteries françaises situées près de nous à Iverny et les batteries allemandes qui nous font face, sur la butte de Monthyon.

Vers 16 heures, ordre nous est donné de nous diriger sur Monthyon, pour protéger les Marocains engagés au bois du Télégraphe. Ma compagnie se déploie dans le fossé de la route qui va de Villeroy à Iverny. Les Allemands sont juste en face de nous, bien abrités derrière une rangée d’arbres, le long du Ru de la Sorcière. On va devoir parcourir 600 mètres à découvert dans ces champs, dans mes champs… Aussitôt le capitaine Guérin, les lieutenants Péguy et de la Cornillière, sabre au clair, nous crient en avant pour un bond de 30 mètres ! On y arrive, mais la moitié des hommes sont tombés.

« Je viens de recevoir une balle… »
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Alphonse Tellier, fin 1917.

Il ne reste plus que le lieutenant Péguy pour nous commander et il décide de refaire un bond de 30 mètres. Nous nous protégeons comme nous pouvons, mais pas lui. Debout, il reçoit une balle en pleine tête… Les trois quarts des hommes de la compagnie sont morts ou blessés. Moi, je viens de recevoir une balle dans l’épaule gauche. C’était forcé, nous partions d’une route, à découvert, avec nos pantalons rouges, face aux mitrailleuses allemandes… C’était inouï ! C’est juste nous qu’on a sacrifiés…

Je reste allongé, jusqu’à la nuit tombée. J’arrive alors à rejoindre Villeroy, avec quelques rescapés. Je pense à mes camarades tombés, mais aussi à ceux qui ont échappé à la mort comme Victor Boudon. Plus tard, il écrira même un livre sur cette bataille dite de l’Ourcq… Nous sommes devenus amis. Pour en revenir à Péguy, un journaliste m’a demandé si je le connaissais bien… Je lui ai répondu que non. Je n’étais qu’un simple cul-terreux, je suis un campagnard, comme on dit, je ne l’ai su qu’après… »

Héros d’Iverny

Après avoir rejoint son régiment, Alphonse Tellier sera de nouveau blessé le 30 septembre 1915, sur le front de l’Aisne. Hospitalisé, il va reprendre le combat après un mois de convalescence. Le 15 novembre 1917, il est décoré de la Croix de Guerre. Fait prisonnier en juillet 1918, il s’évadera quelques temps après. Mort le 26 janvier 1977, il repose à Iverny, là où une rue porte désormais son nom.

Alphonse Tellier en septembre 1958 à gauche Victor Boudon à droite Mr Vigneron d’Orléans ancien combattant de la Marne

Raymond Pezant et Jean-Christophe Ponot