Contrairement à la légende qui s’installe dès 1914, il n’y a pas eu de miracle militaire sur la Marne. En fait, dès avant le premier coup de canon le 5 septembre à Monthyon, les dés sont jetés et l’échec du plan allemand n’est alors qu’une question de temps.

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Colonel d’état-major français entouré par des ambulanciers français et allemands, à Chauconin.

Le « plan » Schlieffen, qui n’est en fait qu’un mémoire de réflexions stratégiques, a été élaboré pour battre la France avant de retourner la machine de guerre allemande contre l’Empire russe dans un délai de six semaines. Se fondant de manière erronée sur l’incapacité des Russes à mobiliser rapidement leur armée, le plan Schlieffen, amendé par von Moltke le jeune, fait figure d’épouvantail. La probabilité d’aboutir à une victoire décisive, ô combien nécessaire à l’Empire allemand, ne résiste pas longtemps à une analyse critique.

Le plan Schlieffen voué à l’échec
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La rue du Grand-Cerf à Meaux, après l’éclatement de la mine détruisant le pont du marché.

Tout d’abord, Schlieffen lui-même reconnaissait que pour mener son « plan » à bien il faudrait que les généraux en charge de son exécution soient du niveau d’Hannibal, de Frédéric II et de Napoléon Ier, pas moins. Or, les récentes recherches d’Hermann Plote nous démontrent que les chefs des deux principales armées allemandes assignées à la partie déterminante de l’exécution du plan – von Klück pour la Ire et von Bülow pour la IIe – sont soit incompétent et sous l’influence d’un chef d’état-major lui aussi incompétent (von Klück), soit malade (von Bülow), et que, de plus, ils ne s’entendent pas ! Pour assombrir encore le tableau, von Moltke lui-même est souffrant. Il n’a repris le service actif que le 25 juillet 1914 et il a déjà fait une crise d’apoplexie début août suite à un différend avec le Kaiser. Bref, avant même le franchissement de nos frontières, les perspectives de succès sont réduites par le profil des hommes aux responsabilités.

Un système de communication allemand défaillant
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Meaux, la passerelle sur la Marne détruite par les Britanniques le 3 septembre 1914 [NDLR : la légende sur la carte est erronée].

Dans la gestion opérationnelle, le Grand Etat-Major (OHL) dirigé par von Moltke est non seulement handicapé par la santé défaillante de son chef mais aussi par un système de communication avec les armées sur le terrain indigne des impératifs d’exécution du « plan ». Alors que depuis la guerre de Sécession, le télégraphe puis le téléphone jouent un rôle primordial dans la gestion des grandes unités engagées sur des distances de plus en plus grandes, on découvre avec stupeur que les Ire et IIe Armées sont hors de portée de l’OHL installé à Luxembourg. A défaut de déplacement sur le terrain de von Moltke, les chefs d’armée gèrent donc eux-mêmes le déroulement de la bataille sans pouvoir communiquer avec leur chef. Un comble !

Joffre : un commandement bien mené
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Le vrai visage de la guerre : sur le champ de bataille de l’Ourcq, 5 septembre 1914.

Lorsqu’on étudie en parallèle la gestion de Joffre qui est en communication permanente avec ses subordonnés, et qui n’hésite pas à se déplacer sur le terrain pour faire exécuter ses directives et relever le cas échéant les chefs défaillants, on voit se dessiner les raisons principales de la victoire française : victoire des hommes sur le terrain mais aussi d’un commandement qui est à la mesure de la révolution des affaires militaires et qui gère les opérations quand les Allemands gèrent une succession de batailles indépendantes.

Sylvain Ferreira