Écrit par Julia BOURNEUF
En 2020, le député de Forbach s’était rendu à Paris afin de faire connaître l’histoire des Malgré-nous. Durant son discours, il évoquera la Seconde Guerre Mondiale mais également 14-18[1]. Les réactions des régionalistes n’ont pas tardé à éclater, considérant que ce terme ne pouvait pas être utilisé pour la Grande Guerre, pour des raisons que nous évoquerons dans ce dossier. Pourtant, le mot Malgré-nous, et par la suite Malgré-eux, apparaît dès 1920.
Concernant la question des Malgré-nous de 14-18, il existe trois points de vue distincts que nous allons définir avant de les analyser plus en profondeur. Le premier, que défend Philippe Mouraux, président du parti des Mosellans en 2020, est le fait que les soldats alsaciens-mosellans n’étaient pas enrôlés de force, et ce, ni d’un point de vue juridique ou sociologique. En effet, il ne faut pas oublier que depuis le traité de Francfort du 10 mai 1871, la France a cédé l’Alsace et une partie de la Lorraine à l’Allemagne. Il n’exclut cependant pas la possibilité que certains aient pu servir l’armée allemande contre leur gré, mais pour lui, cela reste minoritaire du fait que l’Alsace était allemande depuis près de quarante ans au moment du conflit. Les jeunes Alsaciens étaient donc nés avec la nationalité allemande. « (Ils) n’avaient aucun attachement spécifique à la France qu’ils considéraient comme un pays ennemi. Les lettres de Feldgrauen alsaciens-mosellans à leur famille, versées aux archives, témoignent de cette réalité qui dérange certains ». Il reprend l’exemple d’archives privées, celles des familles de Feldgrauen, où les soldats alsaciens ne manifesteraient pas explicitement de ressentiment face à l’Allemagne et ont un discours cohérent de celui de leurs camarades allemands. Dans une lettre précisément, le soldat demande à sa famille de lui envoyer un paquet avec des chocolats et de l’eau de vie, donne des nouvelles de ses conditions de vie au front. Rien de particulièrement étonnant, mais pas non plus d’animosité explicite envers un camp ou l’autre[2].
Pour Christophe Arend, député de Forbach en 2020, le terme de Malgré-Nous peut être utilisé, même s’ils étaient minoritaires. « Il existe des jeunes hommes qui ont dû endosser l’uniforme vert-de-gris de l’armée allemande lors de la Grande Guerre bien que toujours français dans l’âme. On les a appelés des Malgré-eux ou nous (en 1920). Pour ceux de 39-45, le terme a été repris. (…) rien n’interdit d’utiliser cette expression pour d’autres conflits ». En effet, même si un jeune alsacien est né Allemand, il y a toujours la possibilité que ses parents se sentent encore français et que l’enfant ait été éduqué dans la dualité entre les deux nationalités. Juridiquement, la personne est donc allemande mais il est impossible de savoir quel était son réel ressenti sur la situation. La question est complexe et il faudrait traiter au cas par cas chaque combattant pour déterminer quel était son point de vue sur la situation.
La troisième conclusion que l’on peut trouver sur le sujet aborde justement cette dualité et souligne le fait que même si juridiquement, les combattants alsaciens étaient allemands, il ne faut pas négliger l’aspect psychologique d’une telle position. Cette double-facette qu’endossait les Alsaciens et les Lorrains étaient déjà connue à l’époque et l’état allemand se méfiait d’ailleurs des conséquences possibles de ce dualisme qui aurait pu causer des dommages en interne. En effet, si on parle en chiffre, il est recensé qu’environ 230 000 Alsaciens-Lorrains ont combattu dans l’armée allemande et 17 000 ont choisi de rejoindre le côté français au moment du conflit. Ces chiffres ne comptent pas ceux ayant refusé la nationalité allemande au moment du traité de 1871. Laurent Kleinhentz, ayant rédigé une thèse sur le sujet, approfondit la complexité de ce point de vue en évoquant son histoire familiale. Son grand-père, Alsacien, a endossé le vert-de-gris allemand volontairement. Mais ce volontariat est à mettre entre guillemets[3]. En effet, le choix était laissé de rejoindre l’armée française ou allemande mais il ne faut pas oublier que les familles des combattants restaient sur le territoire duquel elles venaient et que des menaces de représailles implicites pesaient sur eux. Ces menaces, en plus d’être sociales, pouvaient également se prononcer par le fait de ne pas distribuer les lettres ou de réserver un traitement administrativement différent à la famille en question[4]. Le grand-père de Laurent Kleinhentz a donc combattu pour l’Allemagne mais cela par crainte de représailles envers les siens, d’après son témoignage direct. Suivant cet exemple, nous pouvons donc remettre en question le nationalisme allemand des Alsaciens et le voir seulement d’un point de vue juridique, par le biais de cette pression explicitée ou non par l’armée allemande. Dans tous les cas, elle fut bien présente et ressentie, si ce n’est par tous les Alsaciens, un partie d’entre eux. Cette méfiance n’était pas dirigée que d’un seul côté car en effet, comme dit précédemment, l’Allemagne elle-même avait conscience que ce dualisme pouvait représenter un danger pour ces rangs. Le fait que l’Allemagne elle-même ne place pas une entière confiance en les Alsaciens-Lorrains est un argument de plus concernant la désaffection de ces habitants vis-à-vis du rattachement au pays. Il était donc commun qu’ils ne participent pas au front de l’Est[5] mais soient dirigés vers les conflits s’exerçant à l’Ouest afin de limiter les dégâts en cas de crise identitaire et donc de rébellion.
Il est d’ailleurs tout à fait possible de trouver des traces de personnes Alsaciennes ne s’identifiant pas comme allemands. Nous allons illustrer cet exemple avec le cas extrême d’Auguste Bernard, tirailleur Alsacien, s’étant engagé à l’âge de 20 ans pour l’armée française[6]. Il était donc pourtant né et avait grandi sous le drapeau allemand. On retrouve dans ses lettres tout ce que nous avons cité comme argumentaire et notamment la peur des représailles directes envers la famille restée en territoire allemand :
« Son option pour l’armée française le marginalisait non seulement face aux Allemands puisqu’il s’était évadé d’Alsace, mais aussi face aux autres Français puisqu’il était germanophone. Ainsi ses premières lettres de 1917 concernent-elles surtout sa relation à ses parents et le souci qu’il se fait à leur sujet : il expose à Mme Puech qu’il ne peut pas leur donner de ses nouvelles et qu’il redoute par ailleurs que sa famille ne soit confrontée aux pires difficultés face aux autorités allemandes en raison de son départ »
Cela souligne donc le fait que le volontariat en était un sous certaines conditions et qu’il est donc tout à fait probable que certains aient endossé le vert-de-gris pour des raisons qui n’étaient pas identitaires. De plus, nous retrouvons là la crainte des représailles envers la famille dont l’état allemand imposerait des « difficultés ». Pour le cas Auguste Bernard, il ne fait aucun doute de son patriotisme français car l’on retrouve dans ses lettres des attaches assumées à la France et ce, contemporainement au conflit : ‘’ mein geliebtes Frankreich ‘’ (Mes français bien-aimés). De plus, il désigne les allemands comme ‘’ Deutsche Hunde ‘’ (chiens allemands), parfois par ‘’ Preußen ‘’ et il précisera à plusieurs reprises que c’est leur présence en Alsace qui le força à quitter le territoire. Cependant, il affirme qu’il ne dit pas aux Français qu’il vient d’Alsace-Lorraine et nous comprenons donc que sa volonté est de venger les évènements de 1871 afin que l’Alsace-Lorraine redevienne française.
Dans le même cas de figure, peut-on trouver des traces de soldats Alsaciens revendiquant explicitement leur affection pour l’Allemagne ? En effet, l’exemple d’Auguste Bernard est un cas extrême de rancune envers les allemands à cause du traité de 1871. Il pourrait donc exister le cas contraire où un Alsacien, ayant grandi sous le drapeau allemand, se sentirait bien allemand et ressentira la même haine qu’Auguste Bernard mais envers la France ? Si des traces de colère profonde, comme celle d’Auguste Bernard, sont difficiles à trouver, il existe un phénomène similaire bien référencée qui prouve également le fait que certains Lorrains ne se sentaient pas français. Le cas Joseph Mathias en est la parfaite illustration[7]. Il a 17 ans au moment où le conflit éclate et devient français quand l’Armistice est signé. Pour lui, c’est un choc culturel. Il ne parle pas français, ne connait pas la Marseillaise. Il a grandi en tant qu’allemand et doit devenir français à la fin de la guerre. Même s’il ne s’identifiait pas comme français, il précise cependant dans ses témoignages que quand la guerre éclate, il ne se considère pas non plus comme allemand. En effet, les Alsaciens sont mis à l’écart par les allemands eux-mêmes, qui ne les perçoivent pas comme de véritables alliés mais comme de ‘’faux-allemands ‘’ car Alsaciens. Nous l’avons bien vu avec le fait de les mettre à l’écart durant le conflit et de les envoyer en majorité sur des fronts moins importants. Ensuite, il offrira une anecdote révélatrice de camarades Alsaciens menaçant de se faire fusiller car chantant eux la Marseillaise, revendiquant leur attachement à la France. Tous ces témoignages tendent à croire que l’Allemagne, n’ayant pas réussi en quarante ans à intégrer socialement totalement les Alsaciens au pays, leur auraient imposé implicitement de servir l’armée, tout en préservant une méfiance à leur égard à cause de cette difficulté à les intégrer.
Mais alors, qui croire ? Quelle est la réelle conclusion que l’on peut apporter concernant le cas des Malgré-nous de 14-18 ? Comme d’habitude, en matière d’étude historique, rien n’est jamais noir ou blanc et pour nous faire une idée concrète de ce qu’était être Alsacien ou Lorrain au moment du conflit, il nous faut analyser des cas concrets. Philippe Mouraux avance en effet l’argument des lettres d’Alsaciens prouvant la dévotion de certains à l’Allemagne. Ce cas a pu exister mais il faut tenir l’argument des lettres manuscrites avec beaucoup de pincettes. En effet, il ne faut pas oublier que la censure et la surveillance des lettres faisaient partie intégrante de la propagande, et ce également en Allemagne[8]. Les lettres étaient relues, découpées, censurées, voire parfois non-diffusées aux familles si elles dévoilaient des informations susceptibles de ramollir le moral derrière le front. L’Allemagne, tout comme la France, avait en effet besoin que la logistique soit maintenue au pays et la presse prouve d’ailleurs la désinformation qui circulait à ce moment-là :
« En Allemagne, au même moment, la presse allemande agit de façon identique. Orientée par la censure du Grand Quartier général allemand, elle dépeint l’armée française comme « saignée à blanc » et ne dit rien sur les disparitions dans ses propres rangs »[9].
Dans un tel climat, et en sachant que des représailles pouvaient avoir lieu sur eux-mêmes ou leur famille, il est alors normal de ne pas retrouver, ou très peu, de lettres évoquant l’affection pour la France ou le fait que le soldat Malgré-nous ne souhaitait en réalité pas combattre pour les allemands. Il faudrait donc comprendre que les Alsaciens iraient au front non pas pour l’Allemagne mais bien pour leur famille et par un volontariat forcé, bien qu’il ne soit pas explicitement évoqué.
Ensuite, si la majorité des alsaciens étaient consentants à participer du côté allemand, pourquoi le terme Malgré-nous apparaitrait-il en 1920 ? Pour comprendre d’où vient cette expression et ce qu’elle prouve pour notre problématique, il faut revenir sur son histoire. L’association des « Malgré-nous, association des mutilés et soldats lorrains » est créée à Metz, dès mai 1920 par André Bellard. Cette création n’a pas été sans conséquence. En effet, le ressentiment de la France vis-à-vis de l’Allemagne est encore fort et comme l’a décrit Philippe Mouraux, les Alsaciens étaient juridiquement allemands et ont donc combattu contre la France. À la fin du conflit, l’Alsace-Lorraine redevient française mais cela ne retire en rien l’amertume ressentie par la majorité de la population alliée au moment du conflit. Les Alsaciens deviennent les grands oubliés des commémorations, sont mis à l’écart car considérés comme non-français et la plupart des combattants gardent un souvenir amer de leur association à la France, car perçus par les français comme des traitres[10]. L’association reçoit de nombreux reproches et notamment celui de défendre des soldats qui étaient ennemis pendant la guerre. André Bellard, fondateur de l’association, rétorquait : « La loi n’y entend rien, c’est affaire de cœur ». Cette réponse est révélatrice de l’état d’esprit dans lequel devaient se trouver les Alsaciens et les Lorrains au moment de la Grande Guerre et remet en question le volontariat supposé que les allemands leur ont offert. Si juridiquement, il est irréfutable qu’ils aient été allemands et aient donc servi pour leur armée, il est plus difficile de conclure que dans les cœurs, ils aient été entièrement dévoués à l’armée allemande.
Il faut cependant nuancer le propos car il est également difficile de déterminer s’ils souhaitaient participer du côté français ou ressentaient quelconque nationalisme pour le pays. Si le cas extrême d’Auguste Bernard est un exemple d’un Alsacien dévoué corps et âme à la France, il reste unique et ne doit pas représenter la majorité. Il permet simplement de comprendre la mentalité ambiante, par son témoignage. Concernant l’exemple des Alsaciens chantant la Marseillaise, cela peut également être interprété comme un symbole de rébellion face à l’Allemagne ou au conflit de manière générale. Difficile de dire si cet acte est une réelle prise de position ou un pied-de-nez face à une Allemagne n’intégrant pas les Alsaciens. Il n’est pas possible de déterminer si une majorité des Alsaciens se sentaient allemands ou français et on ne peut étudier que des cas particuliers. Ce qui est certain, c’est que le climat semble davantage illustrer les Alsaciens-Lorrains comme des Alsaciens-Lorrains, sans le sentiment d’appartenir à une nation ou à une autre et l’après-guerre donne la sensation qu’ils auraient simplement souhaité faire partie des commémorations, que l’on reconnaisse leur existence dans le conflit. Il est alors tout à fait possible d’entendre l’argumentaire de Philipe Mouraux et que, voyant qu’ils étaient rejetés pour leur association à l’Allemagne, les Alsaciens-Lorrains aient porté le fait qu’ils n’étaient pas allemands dans le cœur afin d’être inclus et ne pas subir de représailles sociales ou administratifs, de la part de la France cette fois.
En revanche, un cas précis reste à élucider. Supposons que la majorité des Alsaciens aient été consentants, comme l’affirme Philippe Mouraux, que faire du cas Meurthe-et-Moselle envahi ? Le département de Meurthe-et-Moselle a été créé à la suite du traité de 1871 mais faisait partie à l’origine de l’Alsace Lorraine. Une grande partie de ce territoire a été envahi par l’Allemagne et il est admis que les hommes ont été saisi pour servir dans l’armée allemande. Il n’est pas question pour eux d’un quelconque volontariat juridique car le territoire n’était pas à l’origine allemand mais bien français. De plus, il est connu que ce territoire ait subi une invasion allemande, puis une guerre de position afin de tenter de récupérer les zones occupées.
‘’ Actuellement, de nombreuses recherches effectuées notamment lors des commémorations du Centenaire ont exhumé un grand nombre de vestiges situés au sud de l’ancienne frontière, dans le département de Meurthe-et-Moselle (forêts de Champenoux, de Ranzey, de Bézange, etc.) (…) Situé sur les marges des 3 batailles de Morhange, de la Trouée de Charmes et du Grand Couronné, le secteur étudié se trouve au droit d’un front fixé sur la frontière de la Seille, qui n’a guère été modifié de 1914 à 1918 ‘’[11]
Les fouilles archéologiques récentes mettent donc en évidence une activité révélatrice d’une occupation du territoire et ce, de 1914 à 1918. Il est donc probable que les habitants n’ayant pas pu fuir à temps l’arrivé des allemands aient été réemployés pour servir l’armée de celle-ci ou faits prisonniers. En effet, les activités agricoles françaises ne cessent qu’en 1915, d’après les relevés des couches stratigraphiques[12], comblés aux données historiques présentes dans les journaux ou carnets de commandes agricoles. En conclusion, il est impossible de parler au nom de l’ensemble des soldats Alsaciens et Lorrains ayant servi durant la Grande Guerre, d’un côté ou de l’autre. Il existe des cas particuliers et un sentiment ambiant de non-appartenance à une nation ou une autre. Avec les exemples que nous avons cités, il est difficile de croire que les Alsaciens se sentaient profondément allemands. Ils semblaient, au mieux, se sentir Alsaciens et avoir été entrainés dans un camp ou un autre, sans réelle conviction identitaire (hormis cas particuliers cités). Une preuve de plus concernant la dualité de ce sentiment est le fait, qu’aujourd’hui, il existe des nécropoles allemandes, françaises et parfois les deux, au sein du territoire
[1] MAZZUCOTELLI Stéphane, Peut-on parler de Malgré-nous de 14-18 ?, 2020
[2] Lettre de Elsässer Kurier 6/11/1914, disponible sur feldgrauenalsacemoselle.org
[3] MAZZUCOTELLI Stéphane, Peut-on parler de Malgré-nous de 14-18 ?, 2020
[4] Ibid.
[5] Pascal Flaus
[6] KNOPPER Françoise, Un épistolier alsacien dans la Grande Guerre, 2016
[7] INA, Les Alsaciens ayant combattu dans l’armée allemande en 1914-1918, 1995
[8] PAJON Léon, Censure de la presse, muselage de l’information, « bourrage de crâne »… Pendant la Première Guerre mondiale, tout sera fait pour masquer la réalité des combats auprès de l’opinion, mais aussi des troupes, 2018
[9] Ibid.
[10] INA, Les Alsaciens ayant combattu dans l’armée allemande en 1914-1918, 1995
[11] Dominique Harmand, Denis Mathis et Emmanuel Chiffre, Sur les traces de la Grande Guerre dans le paysage en Lorraine centrale au Nord-Est de Nancy (Moselle, Meurthe-et-Moselle), 2019
[12] Ibid.
Les commémorations se sont donc déroulées pour les soldats qui étaient français et allemands, sans faire de distinction de leur nationalité. Ce sentiment identitaire, encore aujourd’hui partagée, est révélateur d’une période où les principaux acteurs ne se sentaient également ni français, ni allemand mais en globalité Alsaciens-Lorrains. Nous avons défini ce ressenti par différentes causes. Le sentiment de ne pas être français s’explique par le faire d’avoir grandi en territoire allemand, ne pas avoir appris la langue ou toute la culture qui y est associé (La Marseillaise par exemple). Il était également difficile de se sentir allemand, car les allemands eux-mêmes mettaient à l’écart les Alsaciens-Lorrains, méfiants du fait qu’ils ne soient pas des ‘’ vrais allemands ‘’. Des cas d’exception existent, comme vu avec les soldats chantant la Marseillaise ou Auguste, sans doute car éduqués dans la mémoire qu’ils furent un jour français. Il ne faut aussi pas oublier le cas des territoires envahies pendant la guerre, comme la Meurthe-Et-Moselle française qui eux étaient bien juridiquement français au moment de l’invasion. Le terme ‘’ Malgré-nous ‘’ semble donc pertinent mais doit être employé avec précaution et doit surtout être bien détaché de son emploi durant la Seconde Guerre Mondiale où le contexte du territoire est tout à fait différent.
Quoi qu’il en soit, la mémoire honore aujourd’hui les deux camps et met en scène aussi bien les Poilus que les soldats en vert-de-gris lors des commémorations[13].
Le cas Alsace-Lorraine, même s’il est difficile à étudier, démontre cependant que peu importe qu’un soldat soit français ou allemand, la douleur et les pertes ont eu le même impact dans les deux camps. La dualité de ce territoire remet en question les identifications à une nation précise et rappelle l’importance de préserver la paix entre les Hommes. Si les Alsaciens ne se sentaient ni allemand, ni français, ils partageaient avec eux le fait d’être simplement humain et sont la représentation d’un territoire victime d’un conflit à la fois physique, psychologique et identitaire.
[13] PFEIFFER Sabine, Alsace : en 1914-1918, nos ancêtres n’étaient pas des poilus, mais des feldgraus, des soldats « verts-de-gris » allemands, 2021