Résumé de la conférence d’Antoine Prost, président du conseil scientifique de la Mission du centenaire, au Musée de la Grande Guerre à Meaux le 4 février 2016 dans un auditorium plein.

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La bataille de Verdun est déclenchée le 21 février 1916 à l’initiative de l’Allemagne. Les troupes allemandes sont commandées par le Kronprinz. La supériorité allemande est manifeste face à l’impréparation française, le front est vite percé. Le 25, Douaumont est pris. Fin juin, l’armée allemande est à moins de 4 km de Verdun. Le commandement français se prépare à livrer des combats dans la ville.

Le 1er juillet les Alliés déclenchent la bataille de la Somme, ce qui soulage les Français sur le front de Verdun. Pour les Allemands, la bataille s’achève donc à ce moment-là. Pour les Français, elle s’achève en revanche en décembre lorsque la quasi totalité du terrain perdu depuis février a été repris. L’Allemagne conserve toutefois jusqu’en août 1917 ses conquêtes de la rive gauche : le Mort-Homme et la cote 304.

La stratégie allemande est fondée sur la destruction avec une préparation d’artillerie jamais vue jusque là dans la guerre : 1.200 canons et 200 mortiers, supérieurs en qualité et en quantité. Un million d’obus sont tirés le 1er jour de la bataille. Les Allemands sous-estiment les Français. Non sans mépris, ils pensent qu’ils seront écrasés par les bombardements et que leurs troupes avanceront presque sans opposition. Une fois Verdun prise, en 6 semaines, la guerre sera gagnée, même sans prise de Paris. Et la France sera contrainte de demander une paix séparée.

Les Français sont surpris par une attaque aussi puissante. Le secteur est mal défendu, le commandement français a pêché par négligence. Peu de tranchées ont été creusées et trop tard. Le 1er décembre 1915, le colonel Driant, député mobilisé, en poste au bois des Caures signale ces faiblesses à l’état-major. Mais Joffre ne croit pas à la possibilité d’une attaque. Il mettra une semaine à réaliser qu’il ne s’agit pas d’une diversion.

Le paysage de Verdun, ce ne sont pas les tranchées mais les trous d’obus, tous reliés les uns aux autres. Le terrain est raviné, caillouteux, on y exploite les moindres trous. A mesure que les cailloux sont réduits en poussière par les bombardements, s’affirme la monstruosité de la boue de Verdun. Il faut à une troupe 5h pour parcourir 2 km à pied. Au 24 octobre, le général Mangin aura fait construire 42 km de chemins en rondins de bois.

À propos de la situation des soldats en ligne, Pétain résume « il ne faut pas sortir trop tôt la tête du trou ». C’est du combat de petits groupes, par compagnies, par bataillons sur un front très compartimenté par la topographie locale. Les hommes se battent au corps à corps, à la grenade. Les corvées sont pénibles, grande est la difficulté à rapporter la soupe et l’eau la nuit. Sous les bombardements. Les troupes ont soif, ont faim, elles ne dorment pas.

Les soldats disent dans leurs témoignages : « qui n’a pas fait Verdun n’a pas fait la guerre ». Pour eux, c’est la pire des batailles, beaucoup plus violente et meurtrière que les précédentes vécues en 1914 et 1915. L’escalade de la violence n’a pas cessé. Toutes les batailles précédentes ont échoué. Les états-majors y voient la justification de la nécessité de mobiliser toujours plus d’artillerie, toujours plus d’hommes.

Les récits allemands et français concordent : même souffrance, martyre, enfer.

Sur le plan des pertes, Verdun ne paraît pas se démarquer d’autres batailles :143.000 morts allemands et 163.000 morts français en 143 jours. En comparaison, les Britanniques perdent 20.000 morts le 1er jour de la bataille de la Somme. Verdun n’est pas spécialement meurtrière : moins que Charleroi 1914, moins que la Somme. Sur la Somme, 40.000 pertes françaises par mois, contre 37.000 à Verdun.

D’où vient le caractère exceptionnel de cette bataille ?
1°) C’est une bataille purement française. À la différence de la Somme, l’Artois, le Chemin des Dames, où l’armée française combat avec les Britanniques.

2°) Si les Allemands reconstituent les divisions sur place (46 divisions passées à Verdun), les divisions françaises y font la « noria », le « tourniquet ». Les 3/4 des divisions sont passées à Verdun. C’est la bataille qui a concerné le plus de soldats français, pour laquelle il y a le plus de témoins.

3°) Les Français y ont vu le moment où ils perdent la guerre. Dès les premiers combats, l’anxiété est palpable dans le pays et sur le front. Tout de suite, la bataille est perçue comme décisive. Dans la nuit du 24 février, décision est prise de défendre la rive droite. La bataille défensive et vitale se joue dans le triangle Douaumont-Vaux-Fleury. Ce qui se fait au prix d’une prouesse logistique : une division nécessitant 200 t de ravitaillement par jour. Le lien avec l’arrière est assuré par une route départementale empierrée et un chemin fer à voie étroite. L’effort est à la mesure de l’enjeu : il y a 10 ponts sur la Meuse au début de la bataille, 155 points de franchissement à la fin. L’entretien de la « voie sacrée » mobilise en permanence 20.000 hommes pour ré-empierrer ce qui n’est qu’une route départementale !

La troupe a conscience de l’enjeu tout de suite et consent au sacrifice, sous réserve qu’il soit réparti équitablement entre les unités. Toute atteinte à cette égalité formelle provoque une contestation de l’autorité militaire. Ils évoquent dans leurs lettres le sort de la Patrie, « ils ne faut pas qu’ils passent », la fierté de l’avoir faite. Il est gravé plus tard sur le monument du Mort-Homme « ils n’ont pas passé ».

Le travail de mémoire commence alors même que la guerre fait toujours rage. Des villes donnent le nom de Verdun à des rues, on ouvre de la souscription pour la construction de l’ossuaire, Michelin édite les premiers guides de visite du champ de bataille. Dès l’armistice, les anciens combattants y reviennent en pèlerinage. Emblématique, l’Ossuaire de Douaumont est le monument le plus symbolique de l’identité nationale de cette époque.

Qu’est-ce que la bataille de Verdun a d’exceptionnel ? Elle résume à elle seule toute la guerre.

PGG