En avril 2014 a paru dans le n°18 de « Guerres et Histoire » un dossier spécial « 50 idées reçues sur la Grande Guerre » afin d’éclaircir le paysage des lieux communs à la veille du centenaire.
Néanmoins, les articles consacrés entre autres à Joffre (n°9) et à la doctrine de l’offensive à outrance (idée n°4) m’ont paru trop sommaires et surtout trop tendres à l’égard du généralissime français.

Certains défenseurs de Joffre, qui mérite notre louange sur sa gestion opérationnelle et stratégique, veulent nous faire accroire que la responsabilité de l’hécatombe d’août 1914 incomberait principalement aux officiers divisionnaires et aux brigadiers généraux qui commandent au feu, que cette doctrine récente n’a pas eu le temps de pénétrer l’ensemble de l’armée française puisqu’elle est vient à peine de voir le jour.

Un public non averti s’en tiendrait là en pensant que le malheureux Joffre a mal été secondé par ses subalternes qu’il a d’ailleurs « limogé » en nombre au cours de ce funeste été 1914. Mais ce mensonge par omission ne saurait résister à une analyse, pourtant simple à mes yeux, des modes de préparation de notre armée en temps de paix. Immortalisées par René Clair au cinéma en 1955, nos armées sont soumises depuis 1903 chaque automne à de « grandes manœuvres » qui opposent au moins deux corps d’armée (soit au moins quatre divisions d’infanterie) soutenus par de l’artillerie lourde et de l’aviation en 1913. Vous pouvez consulter le détail ici.

Comment dans ce contexte justifier que Joffre aurait ignoré au déclenchement de la guerre les carences de nos généraux ou colonels dans l’exécution tactique de notre doctrine de combat ? C’est tout simplement impossible ! Dès sa nomination en juillet 1911 Joffre prépare lui-même les thèmes des manœuvres et les règlements expérimentés sur le terrain. Il n’ignore donc rien de nos forces et de nos faiblesses tactiques.

Suite aux pertes effroyables de l’offensive en Lorraine, certains historiens nous expliquent sans ciller que des instructions ont été données par l’Etat-major pour « corriger » les erreurs commises par les divisionnaires et les brigadiers généraux. Ces instructions ne semblent pas avoir atteint toutes les unités à l’écoute de ce témoignage magistral de l’assaut sur Monthyon (Seine-et-Marne) par le 276ème R.I. lors de la contre-offensive de la 6ème Armée Maunoury sur la Marne le 5 septembre 1914.

Cette doctrine folle que le haut-commandement ne maîtrise pas coûtera la vie d’environ 26 000 Français pour la seule journée du 22 août 1914, et l’hécatombe ne s’arrêtera qu’à la fin de l’automne avec la stabilisation du front et la confirmation de ce que disait le futur maréchal Pétain : « LE FEU TUE ».

SYLVAIN FERREIRA

Sources :

La grande guerre des Français 1914-1918, Jean-Baptiste Duroselle, 2003

Pyrrhic Victory, Robert Doughty, 2008