Le 15 septembre marque une date importante dans l’Histoire militaire. En effet, il y a cent ans, lors des opérations sur la Somme, les premiers chars sont engagés dans les combats menés par la 4th Army britannique du général Rawlinson dans le secteur Flers.

Développés dans le plus grand secret, ce qui explique leur nom de Tank qui signifie « réservoir » en anglais, les chars ont vu le jour grâce à l’intervention de Churchill, Premier Lord de l’Amirauté, dès janvier 1915. En février 1916, le lieutenant-colonel Swinton adresse un rapport au War Council validant les essais du modèle Mark I et l’armée britannique passe commande de cent exemplaires du type « femelle » équipé de 5 mitrailleuses puis du type « mâle » équipé de deux canons de 6 livres et de mitrailleuses. Le mastodonte d’acier pèse 28 tonnes, est dépourvu de tourelle et progresse à seulement 6 kilomètres/heure. L’équipage est composé d’un officier, d’un conducteur, de quatre tireurs et de deux mécaniciens. Tous ses hommes sont des volontaires issus d’autres armes.

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Le lieutenant-colonel Ernest Swinton, le père des chars britanniques.

Sur le plan doctrinal, les chars doivent permettre de rompre le front en franchissant les réseaux de barbelés et les tranchées en ouvrant la voie aux fantassins. Pour produire le meilleur effet, ils doivent être engagés en nombre. On comprend pourquoi Haig souhaite les utiliser lors de la relance des offensives alliées en septembre 1916. Pourtant, à cette date, il n’y a que 49 chars disponibles et ils souffrent encore de problèmes mécaniques. Aussi, les ingénieurs du Landships Committee (comité des cuirassés terrestres) s’opposent à leur engagement prématuré d’autant que le terrain choisi est bouleversé par les combats et la boue. De plus, la coopération entre les fantassins et les équipages de chars reste sommaire, les premières manoeuvres communes n’ont commencé que le 26 août avec les fantassins de la 56th Division. De même, la coordination des déplacements des chars avec les barrages d’artillerie n’est établie que quelques jours avant le jour J et de manière uniquement théorique. Face à tous ces problèmes, Haig ne veut néanmoins pas entendre raison, et malgré l’intervention du colonel Estienne, le père des chars français, pour demander le report de leur participation, l’engagement des Mark I pour l’offensive de la 4th Army est maintenu. La veille de l’offensive, seules les compagnies C et D du Tank Corps sont opérationnelles pour appuyer principalement les trois divisions (New Zealand Division, 41st Division, 14th Division) sur XV Corps (Lieutenant-General John Du Cane) entre High Wood et Ginchy. Nous aborderons les attaques dans le secteur du III Corps et du XIV Corps dans un autre article.

Le jour J

Suite à des incidents mécaniques divers, le deux compagnies ne peuvent finalement aligner que 36 chars sur les 49 prévus à quelques heures du début de l’offensive. Les chars vont donc être engagés par petits groupes pour soutenir les différentes divisions d’infanterie.

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Chars Mark I s’approvisionnant en carburant à Chimpanzee Valley.

La 14th Division attaque le saillant à l’est du Bois Delville avec le soutien d’un seul char, le D1, aux ordres du capitaine Mortimore. Deux autres chars devaient se joindre à l’assaut mais ils sont victimes d’incidents mécaniques qui les empêchent de participer à l’assaut. Devant la violence du barrage d’artillerie, les Allemands se replient lorsque le char D1 aborde leur ligne, accentuant la panique dans leur rang. Il permet à l’infanterie de capturer le saillant « The Brewery » situé à l’est du bois Delville. Malheureusement, le char est touché par un obus, probablement britannique tombé trop et ne peut pas poursuivre. Les fantassins atteignent néanmoins les positions allemandes de Tea Support Trench, Pint Trench et Switch Trench (Premier objectif de l’attaque), capturant plusieurs prisonniers du Bayerisch Infanterie Regiment 14.

La 41st Division quant à elle doit s’emparer de Flers. Elle bénéficie du soutien de 10 chars : quatre qui doivent attaquer en suivant la route Longueval-Flers, et six autres qui doivent progresser vers le centre et l’ouest de Flers. L’attaque initiale se déroule relativement bien et les fantassins de la 124th Brigade s’emparent de Tea Support Trench et de Switch Line dès 7h, et atteignent Flers Trench à 7h50 grâce au soutien efficace des chars. La 122nd Brigade atteint la Switch Line dès 6h40. Le char D15 est mis hors de combat près de cette position. Le D14 est abandonné près de Flers et le D18 est endommagé par un obus sur la position Flers Trench mais réussit à se replier. A 8h20, le char D17, baptisé « Dinnaken » et commandé par le Lieutenant Hastie penètre dans Flers suivi par les Tommies de la 122nd Brigade tandis que les chars D16 et D18 attaquent l’ouest du village. Enfin, le char D6 du Second Lieutenant Legge progresse vers l’est de Flers à la jonction avec les troupes de la New Zealand Division. Partout les Allemands sont repoussés et des éléments d’infanterie abordent même Gueudecourt sur la troisième ligne d’objectif de l’offensive. Malheureusement, les Allemands déclenchent un puissant tir d’artillerie sur la bourgade qui contraint les chars à se replier. D17 est abandonné suite à une panne moteur tandis que D6 est détruit par des tirs directs de canons de 77.

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Le char D17 « Dinnaken » là où il a été abandonné par son équipage après une panne moteur.

Dans le même temps, la New Zealand Division progresse sur le flanc gauche de la 41st Division, mais elle ne peut compter que sur le soutien quatre chars pour atteindre ses objectifs. Un de ses chars, le D8, aux ordres du Second Lieutenant Bown doit soutenir la progression de l’infanterie jusqu’au secteur de Factory Corner au nord de Flers. Les trois autres (D10, D11 et D12) doivent se porter à l’ouest de Flers. L’assaut se déroule sans rencontré de difficulté majeure. Les fantassins Kiwis atteignent la Switch Line et Coffee Lane à 6h50. A 8h20, deux nouveaux bataillons prennent le relais pour s’emparer de Flers Trench et de Flers Support Trench avec le soutien des trois chars. A 11h, après un nouveau bond en avant, l’infanterie est stoppée par les barbelés sur la position Fat Trench. Le char D10 du Second Lieutenant Darby est alors touché par deux fois par des obus et l’équipage est contraint d’abandonner le véhicule et de se joindre aux fantassins néo-zélandais. Le Second Lieutenant Pearsall engage alors son char D11 dans le réseau de barbelés qui permet d’ouvrir la voie aux fantassins qui s’engouffrent dans la brèche et font plusieurs centaines de prisonniers. Le char D12 du Captain Nixon aborde quant à lui l’ouest de Flers mais il est touché à son tour par l’artillerie qui endommage sa direction. Nixon décide alors de se replier mais son char tombe dans un trou d’obus et reçoit un deuxième coup au but qui enflamme le char tuant un membre d’équipage. De son côté le char D8 de Bown réussit à atteindre Abbey Road au nord-ouest de Flers mais ses optiques sont endommagés ce qui contraint Bown à se retirer non sans avoir soutenu la progression des fantassins.

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Les ruines de Flers après la bataille.

A 14h50, le XV Corps donne l’ordre de stopper l’offensive et de consolider les gains de la journée. Tous les chars encore en état de marche reçoivent l’ordre de se replier en vue d’une reprise de l’offensive dès le lendemain. Si les équipages et leurs chars ont rivalisé de courage pour appuyer l’infanterie notamment lors de la prise de Flers, ils n’ont obtenu que des succès tactiques qui n’ont pas permis d’aboutir à la rupture du front allemand.

(à suivre…)

SYLVAIN FERREIRA