Après le succès initial de l’offensive Broussilov les 4 et 5 juin, la 8e armée du général Kaledine poursuit son effort en direction de la ville de Loutsk profitant de la désagrégation du front austro-hongrois.

Après la retraite de la IVe armée, les Russes n’ont pas immédiatement poursuivi leurs adversaires démoralisées et numériquement diminués. Les troupes austro-hongroises se sont repliées sur la position défensive de Loutsk, aménagée depuis l’automne 1915 pour protéger le passage sur la rivière Styr. Néanmoins, ils ne sont plus que 27 000 hommes pour faire face à l’assaut coordonné de trois corps d’armée russes. Le 7 juin à 7h30, l’infanterie russe submerge les défenses ennemies. Les communications défaillantes entre les unités austro-hongroises sur les deux rives de la Styr empêchent toute coordination de la défense. Devant le nouveau désastre qui s’annonce, la IVe armée passe directement sous le commandement du général allemand von Lisingen dans la nuit du 7 au 8 juin. Celui-ci décide d’abandonner la position défensive à l’est de la Styr et de replier les restes de la IVe armée sur la rive ouest. Mais l’artillerie russe a déjà détruit deux ponts et faute d’ordre, les Austro-Hongrois en ont déjà fait sauté d’autres avant la fin de l’évacuation. Les troupes Habsbourg sont prises au piège. Une fois encore des régiments entiers se rendent sans combat aux forces russes qui franchissent la rivière. Le 9 juin, Kaledine introduit son 32e corps d’armée contre les restes de l’armée austro-hongroise. Le recul de la 7e division autrichienne crée une brèche entre les Ire et IVe armées, contraignant la Ire armée à un nouveau repli élargissant la brèche à plus de 45 km. Sur le flanc nord du saillant de Loutsk, les Russes emploient de nouveau un détachement d’automitrailleuses pour flanquer les unités du IIe corps autrichien qui sont contraintes elles aussi à se replier derrière la Stochod.

Entrée russes a Loutsk dessin de Jankowski Monde illustré 1 juillet 1916

Entrée des troupes russes dans Loutsk.

Au soir du 10 juin, la 8e armée n’est plus en mesure de poursuivre son effort. Ses lignes de communications et de ravitaillement sont trop étirées, Kaledine qui a utilisé sa cavalerie comme infanterie démontée n’a plus de réserves pour exploiter la brèche entre les armées Habsbourg, les munitions d’artillerie commencent à manquer et plus de 35 000 soldats russes sont hors de combat (tués, blessés, prisonniers, disparus). Pourtant la situation des puissances centrales est catastrophique puisqu’elles ont dû reculer de plus de 45 km sur un front large de 80 km et qu’elles n’ont plus de réserves à disposition. Klembovski, le chef d’état-major de Broussilov, insiste pour que la 8e armée poursuive son effort vers l’ouest pour achever l’anéantissement des forces austro-hongroises, mais Broussilov, convaincu que les forces russes du général Evert vont enfin passer à l’offensive au nord, décide de placer ses forces sur la défensive au sud et à l’ouest du saillant de Loutsk et de concentrer ses efforts vers le nord pour soutenir  cette offensive à venir. Mais celle-ci ne va pas se matérialiser, le général Alekseyev, le chef de l’état-major russe, ne parvient pas à contraindre Evert de déclencher immédiatement son attaque pour profiter de la situation opérationnelle pourtant extrêmement favorable puisque les Russes bénéficient dans ce secteur du supériorité numérique de 3 contre 1 en hommes mais aussi en artillerie. Cette grave défaillance dans la chaîne de commandement russe va laisser Broussilov seul en charge d’exploiter son succès initial avec des forces pourtant déjà entamées. Les Russes laissent ainsi échapper une double exploitation de l’offensive Broussilov, la première en raison refus d’Evert d’attaquer les Allemands à l’ouest des marais du Pripet, la seconde en fixant le rôle du Front Sud-Ouest à cette tâche au lieu d’achever la destruction des forces austro-hongroises.

SYLVAIN FERREIRA